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mêmes fonctions sous la surveillance de l’autorité française, plus disposée que les mandarins à empêcher toute malversation; mais il est une autre dérogation aux anciens usages, qui touche à des intérêts matériels et qui a peut-être été moins aisément acceptée : c’est celle qui modifie le mode de perception de l’impôt. Le gouvernement annamite acceptait pour l’impôt foncier le paiement soit en nature, soit en espèces. Aujourd’hui, sauf dans les villages les plus voisins de Saigon, l’impôt foncier doit s’acquitter en argent. De plus, l’entretien[1] des soldats pris par le recrutement et incorporés dans le corps expéditionnaire en compagnies indigènes, et qui restait autrefois à la discrétion des communes, est maintenant remplacé par un impôt en argent exigé de chaque village. Il est vrai que le numéraire, fort rare avant l’arrivée des Français, devient plus abondant, que les échanges et les transactions commerciales sont plus fréquents et plus faciles. En tout cas, les anciennes habitudes sont contrariées par cette innovation. Cependant il n’est que juste de reconnaître que, malgré le désir d’équilibrer le plus tôt possible les recettes de la colonie avec ses dépenses et de réfuter ainsi les critiques dont l’acquisition de Saigon a été l’objet au point de vue financier, les impôts qui frappent la population soumise à la France restent moins considérables que ceux dont les Anglais ont chargé certaines de leurs colonies. Aux Indes, la moyenne de l’impôt est de 6 francs par habitant; elle est à Ceylan de 9 fr. 65 centimes, à Singapour, Malacca de 12 à 20 francs; elle n’est à Saigon que de 5 francs 55 centimes, en comptant même toutes les recettes comme impôts.

Malgré ces innovations, malgré les froissemens qui naissent du dédain trop peu déguisé parfois dans lequel les Européens tiennent le caractère et les coutumes nationales, la masse du peuple, soit crainte, soit habitude et conscience de la supériorité des étrangers, se montre de moins en moins disposée à la rébellion. Ce sont même des milices indigènes qui, sous la direction d’officiers français, ont arrêté en 1864 l’insurrection soulevée près de Mytho par le fameux Quan-Dinh. Elles ont bravement soutenu la lutte dans laquelle ce mandarin a été tué. L’expédition conduite aujourd’hui contre les rebelles cambodgiens compte aussi, à côté de quelques compagnies françaises, un assez grand nombre de miliciens annamites qui ne se refusent nullement à combattre avec leurs nouveaux maîtres. Enfin depuis 1862 les recettes ont constamment progressé. Elles donnaient en 1863 un total de 1,800,000 francs; elles sont évaluées

  1. Le mode de recrutement, appliqué individuellement conformément à la loi française, est contraire aux anciens usages annamites. Il a, dit-on, causé quelque mécontentement. Il existe aussi des milices indigènes chargées de la police.