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se négociait la paix qui, ajouta-t-il, devait le réjouir beaucoup, parce qu’elle procurerait sûrement sa délivrance, celle du duc d’Orléans, et leur permettrait bientôt de voir le roi. Madame, les seigneurs et le commun peuple de France, qui désiraient tant leur retour.

Le dauphin l’écoutait avec une contenance triste, puis, s’adressant en langue espagnole au marquis de Berlanga, il lui dit qu’il n’avait pas bien compris, et que, si l’huissier Bordin savait l’espagnol, il voulût bien lui parler en cette langue. « Je fus considérablement surpris, dit Bordin, en voyant que les princes étoient devenus étrangers à leur langue naturelle, et, me servant de la langue du pays, je leur répétai mes paroles et leur annonçai qu’ils ne tarderoient pas à recevoir leur liberté. » Il demanda ensuite au dauphin s’ils ne savaient plus parler la langue de France? — Comment serait-il possible, répondit le dauphin en espagnol, de la retenir sans en faire usage, n’ayant plus vu aucun de nos serviteurs pour la parler? — Le dauphin et le duc d’Orléans adressèrent alors avec une aimable curiosité toute sorte de questions sur le roi, sur la régente leur grand’mère, sur la reine de Navarre leur tante, sur le duc d’Angoulême leur frère, sur plusieurs seigneurs de la cour, s’enquérant à l’envi de ce qu’ils faisaient, de l’état et du lieu où ils se trouvaient. Ils remercièrent de la bonne volonté qu’on avait pour eux, et firent supplier le roi et Madame de la leur continuer, afin qu’ils fussent tirés au plus tôt de la captivité.

Le marquis de Berlanga termina brusquement cet entretien, auquel se plaisaient les jeunes princes, en les conduisant dans une autre chambre non moins sombre et non moins nue, où se trouvait également une fenêtre sous laquelle le dauphin et le duc d’Orléans se placèrent pour voir le jour. Chacun d’eux prit dans ses bras un petit chien. « Voilà, dit à Bordin un de ceux qui se trouvaient là, tout le plaisir des princes. — Pauvre plaisir, répondit Bordin, pour d’aussi grands princes qu’ils étoient! — Vous voyez, reprit avec une jactance moqueuse le capitaine Peralta, comment sont traités les fils du roi votre seigneur chez les soldats des montagnes d’Espagne. » Il ajouta, en faisant allusion à l’habitude qu’avait le dauphin de tracer des figures sur les murailles : « Je crois que, si le roi envoyoit ici quelque peintre ou quelque imagier^ le seigneur dauphin deviendroit bientôt un grand maître, car il passe sa journée à dessiner de petits bonshommes. — J’ai espoir, répliqua Bordin, qu’avant trois mois il sera maître en meilleures œuvres et plus dignes de lui. »

Le marquis de Berlanga dit ensuite à Bordin qu’il avait assez parlé et qu’il eût à se retirer. Bordin exprima le désir de retourner