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artillerie en route, sur les terres des Colonna et à leur garde. Il avait demandé à don Ugo de Moncada de lui en envoyer de Naples, dont il barrait le chemin de son camp de Troja[1].

Il était depuis quinze jours dans cette forte position avec moins de onze mille hommes et sans canons, lorsque Lautrec, ayant concentré ses troupes, s’avança contre lui. Le succès de son entreprise dépendait de la défaite ou de la dispersion de ce grand débris de l’armée impériale. Lautrec parut décidé à l’attaquer. Le 16 mars 1528, avec vingt-huit mille hommes d’infanterie allemande, suisse, gasconne et italienne, neuf cents hommes d’armes dont les vaillantes compagnies étaient placées sur les flancs de son armée, qui formait une seule ligne en bataillons convenablement espacés, et avait vingt-quatre pièces d’artillerie disposées sur son front, il marcha à l’ennemi. Il avait le casque en tête et l’épée au poing. Les Suisses, qui étaient depuis dix-huit mois en Italie sous l’entreprenant marquis de Saluées, avaient baisé la terre, comme ils avaient coutume de le faire avant de combattre, et toutes les autres troupes, animées d’une belliqueuse ardeur, espérant en venir aux mains, criaient : Bataille! bataille[2]! Au lieu de céder à cet élan, qui l’aurait rendu victorieux, Lautrec, après avoir fait tirer quelques coups de canon sur le camp ennemi, arrêta le mouvement de son armée, qu’il surprit beaucoup en lui donnant le signal de la retraite[3].

Il laissa échapper, par une excessive prudence, l’occasion de rompre les restes d’une armée à laquelle tenait non-seulement le sort du royaume de Naples, mais celui de l’Italie entière. Il prit ce parti trop timide contre le sentiment de ses capitaines, qui désiraient la bataille et croyaient à la victoire; mais altier et absolu, ne consultant personne, décidant tout lui-même, doué de plus de courage que de discernement, après avoir été dans d’autres rencontres audacieux jusqu’à la témérité, il manqua dans cette circonstance de résolution et d’à-propos. Il allégua, pour justifier son extrême circonspection, qu’il aurait perdu, en livrant bataille, beaucoup de gens de bien, comme si, pour remporter un grand avantage à la guerre, il ne fallait pas exposer la vie de ceux qui la font, et il assura que, sans avoir besoin de vaincre les ennemis, il les aurait bientôt la corde au col. Il se proposait cependant de les attaquer dès qu’il aurait été joint par treize enseignes des bandes noires que la république de Florence lui envoyait sous le commandement

  1. Lettre du prince d’Orange à l’empereur, écrite de Troja le 20 mars 1528.
  2. Mémoires de Martin Du Bellay, dans la collection Petitot, vol. XVIII, liv. III, p. 54 et suiv.
  3. Mémoires de Martin Du Bellay. Ibid.