Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que cinq. Je vous ferai honte, mais ce n’est pas ma faute. On me fait des complimens sur cette perte; je la soutiens en grande âme... J’ai fait la paix avec M. de Rochebonne, j’ai reçu Mme de Senneterre, j’ai été à Pierre-Encise voir F..., prisonnier ; je vais aujourd’hui voir le cabinet de M... et ses antiquailles... Ah! quelle joie d’aller à vous, ma belle comtesse!... »

Pas une syllabe de plus. Ceci fait réfléchir, et on se demande ce que faisait en ce moment-là même Mme de Novion. Gardait-elle au captif écrasé pour l’amour d’elle un souvenir plus tendre, une constance plus passionnée? Nous l’ignorons, et qui le saura jamais? Trente ans avaient pu s’accumuler sur sa tête, lorsqu’en 1702 le récit de ses anciennes amours circula furtivement dans le monde. Ni l’éditeur (très probablement il ne vivait plus), ni le libraire, qui déclarait ne connaître aucun des personnages du drame, n’a jugé à propos de nous rien apprendre à ce sujet. Ce dernier s’explique fort lestement sur l’origine de sa publication. « Après la mort de Mme de..., dit-il dans une note au lecteur, le manuscrit de ces Mémoires m’a été remis par un de ses domestiques, et comme l’auteur m’est inconnu, comme je ne lui dois par conséquent à aucun titre la considération, que Mme de... lui a gardée jusqu’au bout, de ne point les faire paraître, en ayant été priée par lui, je n’ai point balancé à les mettre sous la presse. »

Honnête libraire! et combien il a dû s’estimer heureux de n’avoir rien à démêler avec Novion l’ancien, le redoutable magistrat qui de 1678 à 1689 avait gouverné le parlement! Dans quel cachot celui-ci n’aurait-il pas envoyé languir l’indiscret révélateur de ses faiblesses intimes! Mais il était mort plein de jours depuis plus de neuf ans. Quant à son petit-fils, le futur premier président de 1723, il ne dut pas même se douter, jeune homme encore obscur et déjà « sauvage, » qu’on se glissait sous le manteau des récits quelque peu attentatoires au respect du nom paternel. L’abbé de Novion, devenu évêque d’Évreux, vivait encore; le fils de Mme de Novion commandait un régiment du roi : l’affaire, après tout, les concernait plus directement que lui.

Et maintenant, au terme de notre récit, sans que nous sachions trop pourquoi, Mlle de *** nous revient en tête. On se la figure volontiers, après le désastre de son cher marquis, vouée aux regrets et aux larmes, peut-être même reprochant à Mme de Novion de ne pas garder assez présente à l’esprit l’image du désolé prisonnier, et, qui sait? de s’être pour la troisième fois réconciliée à tous risques et périls avec le tenace, l’implacable, l’inexorable beau-père dont le sort l’avait pourvue.


E.-D. FORGUES.