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mence du souverain. Ceci se passait au commencement de l’année 1671. Près de trente années de règne et le prestige de sa puissance incontestée avaient endurci, enivré le jeune monarque. Il était alors fort occupé des états de Hollande; Lyonne se mourait, et la fortune de Louvois allait grandir sur les ruines de Colbert épuisé. La guerre était dans l’air, c’est-à-dire dans le cœur du prince. Avait-il donc une minute à donner aux lamentations d’une pauvre mère éplorée qui venait lui redemander son fils? Elle ne put même arriver jusqu’à lui, les ennemis du marquis s’étant arrangés pour lui fermer l’accès du cabinet royal. Cependant ils ne se sentaient pas encore tout à fait vainqueurs, et leur victime terrassée les inquiétait par momens; aussi représentèrent-ils à Louis XIV abusé que le marquis avait voulu violer ses ordres en s’évadant de la citadelle d’Amiens, et sous ce prétexte ils obtinrent sa translation à l’autre extrémité du royaume, dans la forteresse de Pierre-Encise. Il y entra le 26 du mois d’avril, et voici dans quels termes, quatorze mois plus tard (juin 1672), il sollicitait la compassion de ses amis : « Il ne faut pas à mon malheur une moindre consolation que celle dont je suis gratifié par vos lettres, écrivait-il à l’un d’eux, — le même par parenthèse qui allait justement rédiger ses Mémoires justificatifs, — car, je vous l’avoue, ma douleur est au dernier point, et je souhaite la mort mille fois le jour, comme si c’était un chemin à quelque meilleure vie. Je passe les nuits sans fermer les yeux, les jours sans les ouvrir, et si l’accablement où je suis me procure parfois un quart d’heure de sommeil, ce n’est que pour m’offrir l’image désespérante de ma mauvaise fortune. Si quelque chose m’a fait supporter mon déplaisir jusqu’à cette heure, c’est la créance que j’ai eue d’en mourir de jour en jour, et l’envie que j’en avais ne marque point un grand courage, puisque, dans l’extrémité où mes ennemis m’ont réduit par leurs impostures, il faut moins de résolution pour affronter le trépas que pour souhaiter de vivre encore. »

Il insiste ensuite sur le néant des espérances qu’on lui donne, et auxquelles son découragement profond ne lui permet pas de se rattacher.

Ces espérances furent-elles déçues? L’oublia-t-on dans ces affreux cachots où quelques semaines après la date de la lettre qu’on vient de lire Mme de Sévigné vint, en fidèle amie, visiter et consoler le malheureux Fouquet? Mais, grand Dieu! qu’elle parle sommairement de leur entrevue! — Il est vrai que le secret des lettres n’était pas dans ce temps-là, comme de nos jours, chose sacro-sainte. — Néanmoins il y a quelque chose d’étrange dans les lignes suivantes, datées de Lyon le 27 juillet 1672 : « Hier soir, il se noya un de mes chevaux à l’abreuvoir, de sorte que je n’en ai plus