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vous m’avez vu souffrir une si rude contrainte entre un mari jaloux et deux amans désespérés, et j’allais vous renouveler les offres d’une vie que votre beau-père m’a voulu ôter par toute sorte de moyens; mais qui pourrait prévaloir, madame, contre qui vous appartient et se trouve sous votre protection? Faites-moi toujours l’honneur de m’avouer pour être à vous, et je tiens ma vie en sûreté. »

La réponse qu’il reçut le jeta dans le plus violent désespoir. « Je Ne puis plus vous voir, lui écrivait Mme de Novion; la manière dont je suis observée m’en ôte tous les moyens. Les craintes continuelles où je suis pour vous me forcent à vous avertir que votre vie est en plus grand danger que vous ne croyez; la mienne n’est guère plus à l’abri. Pour mon repos et le vôtre, tâchez de bannir une passion à laquelle je ne pourrai jamais accorder plus que je n’ai fait, et qui, sans vous promettre aucun bonheur, peut nous attirer mille maux. Travaillez donc à vous en défaire, satisfait de savoir que nul n’a jamais eu et n’aura jamais dans mon cœur la même place que vous. »

Le marquis put bientôt s’assurer que sa belle correspondante n’exagérait en rien les précautions prises contre lui, et il dut les attribuer aux deux lettres datées de Hollande, que d’Egvilly avait su intercepter. Mlle de ***, qui ne pouvait rien refuser à la douleur où elle le voyait, se présenta vainement à plusieurs reprises chez son amie; sa porte lui fut impitoyablement refusée. Pendant une absence du président, qui fut forcé d’aller en Auvergne prendre les eaux, M. de Fresne essaya toute sorte de voies pour pénétrer jusqu’à Mme de Novion. Les ordres exprès de l’absent et la farouche jalousie du mari, qui ne quittait presque plus sa femme de vue, élevaient entre les deux amans une barrière insurmontable. Cependant à force d’assiduités et d’informations habilement prises, il la vit une fois ou deux, mais sans lui pouvoir parler en particulier, chez une dame avec qui on ne le croyait pas en relations, et dont le salon, par cela même, n’avait pas été mis en interdit. Ces rares entrevues, dérobées à une surveillance de plus en plus rigoureuse, la rendirent encore plus étroite, et Mme de Novion, persécutée à outrance par son beau-père, lorsqu’il fut revenu de voyage, comprit bien que, pour son propre repos aussi bien que pour le salut de l’homme qu’elle aimait, il fallait en venir à une séparation définitive. M. de Fresne reçut d’elle un billet qui lui assignait pour le lendemain, à onze heures du soir, un rendez-vous chez Mlle de ***. Nous lui devons de dire qu’il ne prit pas un instant le change sur le sens de cette faveur inespérée; ce fut avec un douloureux pressentiment qu’il se rendit à l’heure indiquée chez son obligeante amie. Mme de Novion n’y était pas encore, mais le car-