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par la victoire de Biberach et par la hardiesse avec laquelle il s’engagea dans le Val-d’Enfer; mais laissons un de ses lieutenans, qui ne sacrifie jamais au pittoresque et se livre rarement à l’enthousiasme, nous dire dans quel état revint la vaillante armée du Rhin : « Six mois de bivouacs continuels avaient exténué les hommes et les chevaux; l’habillement ainsi que la chaussure étaient totalement détruits, un tiers des soldats marchait pieds nus, et l’on n’apercevait sur eux d’autre vestige d’uniforme que la buffleterie. Sans les haillons de paysans dont ils étaient couverts, leurs têtes et leurs épaules eussent été exposées à toutes les injures du temps. C’est dans cet état que je les ai vus défiler sur le pont d’Huningue, et cependant leur aspect était imposant: à aucune époque, je n’ai rien vu de plus martial[1]. »

C’est encore Carnot qui avait présidé à la campagne de 1706. Rappelé au pouvoir, après quelques mois d’inaction, comme membre du directoire, il se renferma presque exclusivement dans la conduite des opérations militaires. Il était l’auteur du plan qui avait échoué dans la vallée du Danube, et qui a été justement critiqué. Cependant à la même heure ce plan était couronné en Italie par le plus éclatant succès; mais, si Jourdan vaincu était couvert par les ordres du directoire, les instructions envoyées de Paris n’avaient aucune part aux victoires de Bonaparte. Ici tout appartient au général, et dès les premiers pas la longue prévoyance de son ambition imprime à l’armée sous ses ordres un cachet particulier. Rappelez-vous cette proclamation que tout le monde sait par cœur, vous n’y trouverez ni le mot de patrie ni celui de liberté. Que promet il à ses troupes? Gloire et richesse. Un horizon nouveau s’ouvre devant nos soldats, devant les généraux surtout; d’autres habitudes succèdent à la vie rude et sévère. Quand en 97 le futur duc de Castiglione, nommé au commandement de l’armée du Rhin, arrive à Strasbourg couvert de broderies des pieds à la tête, suivi de sa femme dans un carrosse doré, les modestes lieutenans de Hoche et de Moreau, à peine distingués de la foule par le mince galon qui bordait leur capote, ne pouvaient en croire leurs yeux.

Par un contraste qui n’est qu’apparent, en même temps que le goût du luxe se répandait dans l’armée d’Italie, les sentimens purement révolutionnaires semblaient y prendre une intensité nouvelle. Bonaparte voulait ses soldats jacobins; il encourageait les railleries contre le républicanisme austère qu’on professait ailleurs, contre les « messieurs » de l’armée du Rhin. Aux approches du 18 fructidor, il provoqua dans les rangs les démonstrations les plus

  1. Mémoires de Gouvion Saint-Cyr.