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M. de Novion, assiégé de mille questions auxquelles il ne pouvait répondre qu’en exhalant de vaines injures, finit cependant par comprendre à quelle brutalité sauvage il s’était laissé aller. Il demanda où s’était retirée sa femme et pria qu’on la fît revenir. Ce ne fut point chose facile, car elle appréhendait encore les éclats de cette colère insensée où elle venait de le voir, et il fallut lui promettre que l’on veillerait toute la nuit à la porte de sa chambre pour la préserver au besoin des excès auxquels son mari pourrait vouloir se porter, ce qui fut promis solennellement et tenu de point en point.

Cependant Mlle de *** était allée s’enfermer dans sa chambre, où elle pleurait à chaudes larmes sur l’affront public qu’elle venait de subir. M. de Fresne ayant cru devoir l’y rejoindre avec deux de ses hôtes, elle demanda justice à ces messieurs, et, séance tenante, on délibéra sur les moyens d’obtenir pour elle une réparation suffisante. Après maints expédiens, tour à tour proposés et rejetés, le marquis, naturellement porté à éviter toute rupture éclatante, tomba droit sur celui qui convenait le mieux aux circonstances. Il demeura convenu qu’on laisserait M. de Novion cuver ses remords, et qu’on lui fournirait ensuite la seule excuse admissible dans une occurrence pareille. En attendant, on organisa des tables de jeu dans la pièce contiguë à celle où les deux époux étaient censés dormir, et où l’on peut aisément se figurer que ni l’un ni l’autre ne ferma l’œil.

Il était midi le lendemain, quand M. de Novion, effrayé des comptes qu’il allait avoir à rendre, permit à sa femme de sonner leurs gens de service. Pour lui, calfeutré sous ses rideaux et le nez au mur, il feignait de dormir encore. Ce fut dans cette attitude que le marquis et ses deux acolytes vinrent le surprendre : — Dormez-vous toujours ?… êtes-vous remis ? lui demanda le premier avec une sévérité railleuse ; l’ivresse est-elle partie ?… Si on vous avait su le vin aussi sanguinaire, on aurait veillé de plus près sur vos déportemens…..

M. de Novion laissait dire, feignant, comme l’autre l’avait prévu, l’étonnement d’un homme qui s’arrache avec peine à quelque lourd sommeil. En réalité, il avait hâte de saisir le bâton sauveur que son hôte lui tendait. — Comment ? finit-il par répondre en bégayant, aurais-je donc fait quelque sottise ?… Et quand (peine fort inutile) on l’eut mis au courant de ce qui s’était passé, il affecta de ne vouloir pas croire à de telles énormités. Pour le convaincre, il ne fallut rien moins que la parole des trois gentilshommes.

— S’il en est ainsi, dit-il alors, je n’ai plus qu’à m’aller jeter aux pieds de Mlle de ***, et vous m’aiderez, je l’espère, messieurs, à lui faire agréer mes humbles excuses. — Voyant le plein succès de