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M. de Fresne n’en apprit pas moins dès le lendemain que sa lettre avait été lue, et qu’au lieu de l’auto-da-fé dont elle se voulait targuer, Mme de Novion, avant de se mettre au jeu, l’avait glissée dans sa poche. Par exemple la sentence de bannissement restait maintenue. On voulait bien, par grâce singulière, consentir à oublier l’offense; mais l’offenseur devait rester longtemps sans reparaître en face de la personne que son audace avait irritée, et ne la revoir ensuite qu’à de longs intervalles.

Franchement et naïvement désespéré, le marquis projetait de quitter Paris, où il lui semblait impossible de demeurer sans se sentir comme entraîné à violer cette inexorable consigne. Sa complaisante conseillère l’en dissuadait de tout son pouvoir, persuadée que l’absence, chez un amant, est de tous les torts le plus grave et le plus irréparable. M. de Fresne s’en laissa convaincre, et n’eut pas regret de sa docilité quand une seconde lettre de sa main, remise sous pli volant à Mlle de *** et moins sévèrement accueillie que la première, lui revint accompagnée d’une réponse. Ses humbles excuses avaient fléchi le courroux de Mme de Novion, qui, se laissant aller aux importunes sollicitations de la subtile ambassadrice, lui notifiait sa grâce dans les termes suivans :

« Mlle de *** est une personne des plus entêtées. Vous savez ce qu’elle a déjà obtenu de moi par rapport à vous, et vous pouvez croire qu’elle avait lieu d’en être satisfaite; mais point : elle veut, et ses persécutions rendent tout refus impossible, que je vous dise à quel point il m’en coûte d’être forcée de vous en vouloir, vous estimant comme vous m’avez donné lieu de le faire. »

Pardon mitigé, froid dans les termes, significatif cependant, et démarche presque décisive, moins peut-être alors qu’elle ne le serait maintenant. Mme de Sévigné vraiment en écrivait bien d’autres, et fort innocemment, à son vieux professeur Ménage; en revanche, il faut le dire, elle ne l’avait pas, dans une heure sérieuse et solennelle, accepté pour son féal et presque amé chevalier. Le marquis, selon nous, dut être satisfait; mais il n’eut garde de laisser paraître sa joie, et se hâta de solliciter la révocation du décret par lequel la personne du monde qu’il aimait le plus tendrement lui avait jusqu’à nouvel ordre interdit sa présence. Au moins devait-elle permettre que, forcé de quitter Paris pour quelque temps, il vînt prendre congé d’elle. Les insistances de son infatigable négociatrice lui valurent encore la lettre suivante :

« Une demoiselle de vos amies et des miennes vient me dire que vous êtes plongé dans une tristesse non pareille. Je ne vois point ce qui vous y peut réduire, mais je sais bien qu’à votre place je ne serais point si affligée. S’il est vrai que j’aie sur vous autant de pou-