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s’il trouva fréquemment prétexte à visites, et bien que l’hôtel de Novion ne lui fût jamais interdit, en revanche il ne parvenait guère à déjouer l’assiduité des espions répandus autour de la jeune femme. Un jour seulement, par grand hasard, il la trouva, non pas absolument seule, mais tellement réfugiée dans la profonde embrasure d’une croisée qu’il put rapidement échanger une ou deux phrases avec elle. — Si cela dure encore, répondit-elle au regard qui la questionnait, je finirai par m’ôter la vie!... Chaque jour de nouvelles indignités... Hier, pas plus tard qu’hier, tous mes gens ont été congédiés... Cette existence m’est odieuse, et j’en veux finir...

— Ah! madame, que dites-vous là? N’est-il pas une autre victime à sacrifier avant vous? murmura de même le pauvre marquis; ce fut tout, car un signe l’avertit qu’il était observé.

Des semaines, des mois entiers suivirent, durant lesquels, ménageant de son mieux les apparences et se flattant qu’un heureux hasard lui permettrait de s’entretenir encore une fois sans témoins avec Mme de Novion, il persistait à venir lui rendre ses devoirs; mais elle était gardée de trop près, soit par ses amoureux beaux-frères, soit par les surveillans dont le chef de la famille l’avait entourée, pour qu’il pût jamais sans imprudence risquer la moindre parole qui eut trait à leurs sentimens particuliers. Las enfin de cette gêne, de cette contrainte perpétuelle, qui auraient eu raison d’une affection moins constante et d’une patience plus facile, l’idée lui vint de rendre visite à une certaine demoiselle de *** qu’il rencontrait souvent chez Mme de Novion, et qui, pensait-il, s’il l’intéressait à sa flamme, pourrait lui rendre mille bons offices. La Providence, qui lui avait suggéré cette idée, la fit fructifier presque au-delà de ses souhaits, car la demoiselle en question, prenant à son compte les assiduités du marquis, faillit y répondre par un attachement que les circonstances rendaient tout au moins inopportun. Détrompée à temps, et grâce à d’habiles tempéramens dont sut user le marquis, elle se réduisit d’elle-même au rôle de confidente, et y porta généreusement une partie du zèle affectueux que lui avait inspiré M. de Fresne. Malgré tout, et lors même qu’il se fut ainsi ménagé les bénéfices d’une intervention féminine, ce dernier hésitait encore. S’il était pénible de continuer à se taire, il pouvait être dangereux d’aborder trop tôt, avec une femme comme celle dont il s’était épris, le terrain délicat des aveux formels. Il eût été par trop naïf de penser que la dame ne soupçonnait en rien le secret des empressemens du marquis; mais l’ignorance qu’elle affectait à cet égard laissait entrevoir la crainte d’avoir à répudier une tendresse coupable, si cette tendresse devenait trop explicite. Cette crainte, sincère à coup sûr chez une personne dont