Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/359

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lègue de Furetière[1], prend à l’égard de la jeune femme qu’il veut dominer par la terreur des licences de langage qu’il ne nous a pas paru permis de reproduire. Ces brutalités sont du temps, bien que ce temps soit celui du roi-soleil. On était alors pompeux jusqu’au pathos et familier jusqu’à la brutalité. On portait tour à tour le cothurne et les sabots; on ne quittait les échasses que pour descendre, sans y regarder, en plein marécage. Et quand on était las de s’agenouiller devant « l’adorable princesse, » on la traitait de « coureuse » ou pis encore. Sans être beaucoup meilleurs, nous marchons cependant d’un pas plus égal, entre Corneille et Scarron, à mi-chemin du Cid et de Don Japhet.

« Sans être beaucoup meilleurs, » disons-nous; ne le prouverait-on pas en établissant un parallèle imaginaire entre le marquis de Fresne, par exemple, et tel ou tel de nos contemporains, de condition analogue, qui se trouverait placé dans la même situation, et, venant faire une simple visite de politesse à une belle dame de sa connaissance, recevrait à brûle-pourpoint les confidences les plus intimes. Osons dire qu’il serait, au premier abord, très embarrassé de sa personne, et qu’il ne bénirait précisément pas sa destinée de le convier ainsi à une mission chevaleresque. O paladins des temps héroïques, Renaud, Galaor, Roland! le voyez-vous devant la belle éplorée, déguisant mal, sous une apparence d’émotion sympathique, le vif regret de sa fausse démarche, et le secret désir de se voir transporté à cent lieues de ce tête-à-tête compromettant?

Mais il y a deux cents ans la noblesse française ne reniait pas absolument et ouvertement ses traditions. « Un peu de seigneurie y palpitait encore. » Le marquis de Fresne eût cru déroger en ne sollicitant pas le droit de protéger une femme opprimée. — Je sais, disait-il à Mme de Novion, je sais qu’il faudrait être plus particulièrement connu de vous pour vous engager à la confiance que je vous demande; cependant, si mon bonheur veut que vous mettiez quelque foi dans mes paroles, croyez que nulle considération, telle que vous la puissiez imaginer, ne me sera plus chère que vos intérêts.

Ce n’étaient point là de vaines formules, et par cet engagement solennel notre imprudent se mettait de belles affaires sur les bras. On pouvait y regarder à deux fois avant d’affronter l’animosité de toute une grande famille parlementaire et de son immense clientèle. Qu’un jeune célibataire, libre de ses actions, dégagé de tout

  1. Il fut reçu en 1684, et en 1684 l’Académie française l’avait pour directeur quand éclata le fameux débat soulevé par les indiscrétions de Furetière. M. Walckenaer nous apprend (Vie de la Fontaine, liv. V, p. 418) que M. de Novion se déclara formellement contre Furetière, bien qu’il lui portât un vif intérêt.