Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/358

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pus, et de hasarder quelques remarques sur le début de ce naïf récit arraché par nous à la poussière des bibliothèques en plein vent. S’il nous a séduit, c’est apparemment, ou nous nous connaissons bien mal, par ses côtés vrais ou probables. En supposant, — la chose n’est pas impossible, — qu’un fureteur de registres authentiques, expert dans le grand art de vérifier les dates, s’en vînt nous démontrer, pièces en main, que ce prétendu mémoire apologétique est un libelle diffamatoire, mensonger d’un bout à l’autre, nous n’en persisterions pas moins à dire qu’il offre une série de scènes et de portraits où revit à une date précise toute la société embaumée par Molière dans ses comédies, par Des Réaux dans ses historiettes, par Saint-Simon dans ses mémoires. Les événemens s’y déroulent dans un ordre ou plutôt un désordre qui n’est point celui du pur roman. Comme dans la vie réelle (la plus inconcevable énigme qui, par parenthèse, ait jamais dérouté la logique humaine), on y rencontre des incidens plutôt juxtaposés que déduits l’un de l’autre. La volonté sème, le hasard fait germer, l’imprévu récolte. La trame est ourdie, le fil se rompt sans qu’on démêle le secret de cette rupture. Tel dessein avorte, tel autre reste en suspens, un troisième, qui a semblé anéanti renaît de ses cendres, et si vous demandez pourquoi, personne ne pourra sans fatuité chercher à vous en rendre compte. Les bonnes chances restent acquises indifféremment à qui les mérite ou en est indigne. L’homme s’agite, et s’il est vrai que Dieu le mène. Dieu ne fait pas semblant de savoir où. L’incohérence des faits (réels) a sa contre-partie dans l’inconsistance des caractères (vrais). Partout où l’ordre se fait, la fiction se dénonce. Si, comme cela ne manquerait pas dans un récit de nos jours, le beau-père épris pour sa bru d’une flamme doublement coupable se débattait, à l’instar de Prométhée sur son rocher, contre l’appétit permanent du vautour immortel, nous entrerions immédiatement en méfiance, nous nous croirions au séjour des ombres: mais quand nous voyons M. de Novion, ce président à mortier, à la fois magistrat félon et homme de plaisir, tyran domestique et dilettante littéraire, en même temps que familier avec ces bonnes fortunes obscures dont parle Saint-Simon, prendre, quitter, reprendre et quitter encore comme par accès une sorte de fièvre, tantôt stimulée par la présence de sa belle-fille, tantôt apaisée par les réflexions que l’absence suggère, tantôt ranimée de plus belle par la moindre apparence de rivalité, surtout de rivalité heureuse, nous nous sentons en pleine vérité, en pleine analyse expérimentale. Et c’est là justement ce qui nous charme. Puis arrivent les détails familiers et vulgaires, — nous les supprimons fréquemment, — qui donnent sa date à la narration. L’académicien désigné, le futur col-