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l’on ne tenait pas ruelle de beaux esprits, c’était donner à jouer. Les joueurs arrivèrent donc, amenés par les amies de Mme de Novion. La liste en serait longue; aussi ne nommerons-nous que les plus à la mode, M. Des Ormes (Béchameil), M. de La Vrillière, etc., ces deux-ci plus spécialement recommandés à la jalousie de M. de Novion par leur galanterie somptueuse et recherchée. Tous deux en réalité s’éprirent de la belle personne auprès de laquelle un accès inattendu leur était ménagé; cependant, si répandus qu’ils fussent, et malgré toutes les raisons qu’ils pouvaient se donner à eux-mêmes pour s’encourager, ni l’un ni l’autre ne hasarda un aveu qui pouvait, qui devait être suivi d’un bannissement immédiat; mais ce qu’ils n’osaient déclarer ouvertement, ils tâchaient de l’indiquer par leurs assiduités et leurs soins. Des Ormes débuta par une fête brillante dont le président ne méconnut point l’intention cachée, et qui lui causa un terrible souci. En conséquence, dès le lendemain, sa belle-fille fut priée de ne plus recevoir ni M. Des Ormes ni M. de La Vrillière. Ce dernier ayant annoncé pendant le souper donné par son rival qu’il entendait, lui aussi, divertir ces dames à la Chevrette (sa maison de campagne près Paris), la défense arrivait fort mal à propos pour Mme de Novion : comment et sous quel prétexte rompre un engagement accepté la veille à échéance du lendemain? Les mesures étaient prises, la partie liée. A l’heure fixée, les dames qui devaient la venir prendre frappèrent à sa porte. Quelle excuse polie inventer pour leur donner congé? Une certaine honte, mêlée peut-être à quelque velléité de rébellion, fit paraître impossible ce qui était, à vrai dire, assez difficile et délicat, et l’excursion projetée eut lieu tout comme si le président n’y eût pas mis le moindre obstacle.

Mme de Novion ne comprit toute la portée de sa désobéissance que lorsque, revenant à deux heures après minuit de cette fête brillante où tout avait été disposé en vue de lui plaire, elle rentra dans son appartement désert. Déjà surprise de n’y point trouver ses femmes, elle le fut bien davantage de s’y voir seule en face de son beau-père, dont la physionomie et l’attitude n’avaient rien de rassurant. Un tremblement nerveux s’empara d’elle, et ses appréhensions allèrent tout d’abord jusqu’aux plus extrêmes limites. Ses jours mêmes lui semblèrent menacés lorsque le président, d’une voix où vibrait une fureur contenue, l’apostropha rudement: — Est-ce ainsi, lui dit-il, que vous persistez, malgré tout ce qu’on a fait pour vous en retirer, dans une vie de désordre et de honte? Pensez-vous que, pour vous retenir sur cette mauvaise pente, on doive continuer à vous traiter avec autant de douceur qu’on l’a fait jusqu’ici?