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homme pouvait mettre au service de ses passions déchaînées. Le lendemain d’une journée passée à pleurer, elle s’alita pour ne se relever qu’après six semaines de fièvre et de langueurs alternatives. Sa jeunesse, la force naturelle de sa constitution triomphèrent pourtant du mal qu’elle devait à ses angoisses morales, et dans le nombre des circonstances favorables qui lui vinrent en aide peut-être faut-il compter la détermination du président, qui, véritablement outré contre elle, ne parut pas une seule fois à son chevet durant tout le cours de sa maladie.

Même après son rétablissement complet, elle ne le vit qu’à de longs intervalles. A vrai dire, elle employait tous les moyens imaginables pour ne se rencontrer avec lui que lorsqu’il n’y avait pas moyen d’éviter ces odieux rapprochemens. Au lieu, par exemple, de prendre ses repas avec le reste de la famille, elle se faisait servir dans sa chambre, qu’elle quittait à peine sous prétexte de maladie. Cette vie de réclusion ne la mettait point à l’abri d’un espionnage assidu. Ses moindres paroles étaient rapportées à son beau-père. Une étroite consigne ne laissait arriver jusque chez elle que quelques visites soigneusement triées, et, comme on lui permettait rarement de sortir, elle était à peu près prisonnière. Lasse enfin de cette existence à laquelle aucun terme n’était assigné, imaginant aussi que, loin de son terrible beau-père, elle prendrait plus aisément quelque influence sur le chétif mari à qui le sort l’avait unie, elle demanda elle-même à partir pour leur terre, où elle passa huit mois. Une certaine liberté lui étant laissée de recevoir ses voisins de campagne et d’aller chez eux, elle ne rentra qu’à regret dans ce Paris où l’attendaient, avec de fâcheux souvenirs, mille inquiétudes nouvelles.

A peine arrivée en effet, elle reçut coup sur coup plusieurs visites de son beau-père, qui, à son accueil empreint d’une froide civilité, ne put douter des dispositions où l’avaient laissée, malgré le laps de temps écoulé depuis lors, ses indignes procédés. Il n’en continua pas moins à se présenter fréquemment chez elle; d’officieux parens, peines de la désunion qui semblait s’être glissée entre le président et sa bru, crurent faire merveille de s’entremettre, et amenèrent une sorte de réconciliation plutôt apparente que réelle, mais qui, pour quelques mois, rétablit à peu près les choses. Malheureusement après cette trêve passagère les hostilités allaient renaître plus acharnées que jamais.

En attendant, l’hôtel de Novion prenait une physionomie moins revêche et moins sombre. Pour empêcher la jeune femme de sortir et conjurer l’ennui qui l’aurait attirée vers le monde, on lui permit, on lui conseilla de recevoir. Recevoir à cette époque, lorsque