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brûlé, que, sans nul doute, on avait intérêt à faire disparaître. Tel était l’échafaudage sur lequel le président avait cru pouvoir étayer ses soupçons.

M. Aubry ne devait pas en être la seule victime. Dès le lendemain, le président monta chez sa belle-fille, qui, le voyant entrer avec une physionomie bouleversée, s’inquiéta et s’enquit de sa santé. Pour toute réponse, elle eut à subir une apostrophe véhémente sur les intrigues secrètes, les trames déshonorantes qu’elle avait introduites dans une maison jusque-là préservée de toute souillure pareille. — Ainsi, disait-il, ainsi s’expliquent les mauvais traitemens que j’ai reçus de vous, le dédain que vous faites de mon affection. Le peu d’égards que vous avez pour ceux qui devraient vous tenir lieu de toute chose doit être attribué au penchant qui vous entraîne vers une personne en dehors de votre famille, et pour qui vous êtes loin de vous montrer sévère... Si vous pensez qu’on ignore vos menées, vos échanges de lettres, détrompez-vous, madame : tout finit par se découvrir, et, de même qu’il n’est point de feu sans fumée, il n’est pas de papier brûlé qui ne jette quelque lumière...

Mme de Novion demeura quelques momens interdite devant ce débordement inattendu de paroles ironiques et d’accusations inintelligibles pour elle. Du billet de M. Aubry, du placet de la veille, elle n’avait pas gardé le plus léger souvenir. Le président, encouragé par l’embarras qu’il croyait voir en elle, y fit heureusement une allusion plus directe. Sachant alors à quoi s’en tenir, elle expliqua simplement les faits tels qu’ils s’étaient passés. Puis, son beau-père persistant à douter de ce qu’elle racontait et la patience de la dame venant à s’épuiser : — Je vous en ai dit assez, reprit-elle avec un regard indigné, pour me justifier à l’égard de tout esprit impartial, de tout homme doué de raison. Puisque vous n’êtes pas satisfait, je ne chercherai pas d’autres excuses, et je prendrai facilement mon parti de vos injustices, pourvu que vous soyez le seul à m’estimer aussi coupable. Vos emportemens d’ailleurs me dispensent de tout respect, et je prétends à l’avenir ne plus avoir à vous rendre compte de mes actions.

Ce sang-froid, cette hauteur, devaient exaspérer le président. Il se montra vis-à-vis de sa bru tout aussi peu réservé qu’il l’avait été la veille à l’égard du prétendu complice de celle-ci. Les plus cruelles injures jaillirent de ses lèvres, et il ne sortit qu’après avoir menacé l’infortunée jeune femme de la faire mourir au fond d’un cloître. Nonobstant la constance et la fermeté dont elle avait fait preuve en présence de son tyran, elle demeura comme atterrée devant un si formidable éclat, en songeant à l’ascendant, à l’autorité qu’un pareil