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aimer ce qu’il y a de plus aimable sur la terre… Et, s’il y a crime dans l’aveu que je vous ai fait, j’y suis tellement contraint que je ne saurais en éprouver aucun remords ; aussi vos reproches sont perdus…

— Je vous les épargnerai donc, mais je vous fuirai désormais comme une personne que je vois en grande horreur et en grande crainte.

— Vous le pouvez, repartit le président, mais autant vaudrait souhaiter ma mort, puisque sous le poids de votre haine je ne saurais vivre… — Là-dessus, et sans doute après quantité d’autres propos fort inutiles à reproduire, il quitta sa bru, s’imaginant que pour cette fois le pas qu’il venait de faire ne devait pas le conduire plus loin.

L’occasion ne s’est pas encore présentée de dire que M. de Novion avait, outre le fils à l’honneur duquel il ménageait une si rude atteinte, deux autres enfans, l’un ecclésiastique, l’autre portant l’épée, tous deux à ce point imbus de l’esprit paternel qu’ils s’éprirent successivement de leur charmante belle-sœur. Lorsque celle-ci, avec une douleur facile à imaginer, se fut aperçue des empressemens que l’abbé de Novion[1] commençait à manifester, elle feignit d’en méconnaître le sens pour n’avoir à lui témoigner aucunement l’amer dédain qu’il lui inspirait. Ce silence prudent eut sa récompense, car l’abbé, qui ne pouvait guère s’abuser ni sur son mérite personnel ni sur l’indifférence dont ses premiers soins étaient payés, sut se détacher à temps d’une si folle passion. Le chevalier de Novion[2] se montra plus tenace et moins avisé. Le déplaisir qu’il eut de ne pouvoir faire écouter ses soupirs, — il n’y avait guère d’apparence, dit notre chroniqueur, avec une physionomie et un esprit aussi rudes, — le conduisit à mille extravagances qui ajoutèrent un inutile surcroît aux déplaisirs de la pauvre jeune femme égarée dans cette famille perverse.

On doit croire que chacun de ces rivaux marchait à ses fins dans le plus grand mystère. M. de Novion cependant fut mis au courant de ce qu’avaient tenté ses deux derniers fils par un quatrième prétendant, — le plus dissimulé de tous, — qui, ayant surpris leurs menées, devina l’amour du président et espérait se débarrasser, en les armant les uns contre les autres, de ces concurrens diversement dangereux. Sans être positivement aimable, M. d’Egvilly, — c’est le nom du personnage, — comptait parmi ceux à qui tout espoir de

  1. Jacques Potier. Il fut évêque de Sisteron en 1677 et de Fréjus en 1680; puis le siège d’Évreux venant à vaquer avant l’obtention des bulles, il en fut pourvu l’année suivante. Il mourut en 1709, âgé de soixante-deux ans.
  2. Claude Potier, chevalier de Malte en 1665, capitaine de chevau-légers en 1667.