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du Rhin, relation tout allemande et nullement française, et pourtant on y trouve le reflet de l’étonnement, de l’admiration qu’inspirait l’attitude des républicains. On y voit ces hommes redoutés entrer dans les villes avec leurs vêtemens en lambeaux, souvent des sabots aux pieds, mais avec l’allure guerrière, faire halte sur les places au milieu de la population tremblante, manger auprès de leurs faisceaux le pain noir qu’ils ont apporté, et attendre sans rompre les rangs les ordres de leurs chefs. Il y eut des exactions, mais commises par l’administration qui suivait l’armée et ne la valait pas; c’était aussi l’incurie administrative qui parfois engendrait la maraude; mais de pillage point. Durant le rude hiver de 94 à 95 que l’armée du Rhin passa devant Mayence, les soldats, réduits aux dernières extrémités, ne volaient que le pain. Le jour, au moment des semailles, ils guettaient les paysans, et s’en allaient la nuit ouvrir les sillons avec leurs baïonnettes pour se nourrir du grain qu’ils déterraient. Au dire de ceux qui avaient fait les deux campagnes, les souffrances furent alors aussi vives qu’en 1812. Beaucoup d’hommes mouraient de faim et de froid, mais les survivans ne quittaient pas le drapeau; s’ils s’éloignaient pour chercher des vivres, et quels vivres! souvent des fruits sauvages, des oignons vénéneux, on les voyait reparaître au premier coup de canon. Les officiers partageaient la misère, le dénûment du soldat. Tous vivaient de la même vie frugale, et de gré ou de force tous pratiquaient le même désintéressement. Sans doute il y avait alors aussi sous l’uniforme des rivalités, des jalousies, des ambitions, toutes les passions grandes ou petites; mais l’abnégation était générale, et s’imposait aux plus récalcitrans. Il était souvent difficile de pourvoir aux emplois vacans. J’ai connu un homme qui avait reçu une éducation assez forte pour devenir chef d’un service forestier important, qui était assez robuste pour avoir pu faire pendant sept ans une telle guerre, sac au dos et fusil au bras, assez vaillant pour avoir mérité une arme d’honneur; jamais il n’avait voulu d’avancement : parti soldat, il revint soldat. Il citait volontiers les noms de beaucoup de ses camarades qui, comme lui, s’étaient volontairement acharnés à rester dans l’obscurité. Saint-Cyr raconte qu’il n’accepta le grade de général qu’après deux refus, et sur la menace d’être envoyé en surveillance. Cette hésitation semble assez naturelle quand à la page suivante des mêmes mémoires on lit le récit du conseil auquel le nouveau général fut aussitôt appelé par les représentans : le premier objet qui frappa ses yeux fut une guillotine placée devant la fenêtre ouverte; mais, répétons-le encore une fois pour l’honneur de l’espèce humaine, la crainte de l’échafaud n’a inspiré aucune noble action. Le régime sanglant qui pesait sur la France était arrivé si vite au paroxysme que si jamais il eut un