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pendance, leur respect de l’individu. Seuls entre tous les peuples de l’Europe méridionale, les Basques ont su se faire respecter par les Romains et ne sont point devenus leurs esclaves ; seuls ils ont traversé ces longs et douloureux siècles du moyen âge sans se laisser déshonorer par la servitude. Les serfs malheureux et barbares qui les entouraient, s’imaginant dans leur honteuse abjection que la liberté était un privilège de noblesse, voyaient en eux des gentilshommes, et vraiment les Basques étaient tous nobles, autant et plus que les hauts barons des cours de France et d’Espagne, car leurs droits ne dépendaient pas d’un maître, et la moindre atteinte que l’on se permettait d’y faire était aussitôt vengée. S’ils avaient des suzerains, du moins les forçaient-ils à observer de point en point la loi jurée, et souvent ils se firent un devoir d’appliquer la peine de mort prononcée contre le violateur du serment par les constitutions locales. Maîtres chez eux, ils s’abstenaient avec soin d’intervenir dans les affaires de leurs voisins. Le roi de Castille ou de France les invitait-il à le suivre, ils commençaient d’abord par examiner si la guerre était légitime, et si elle leur paraissait injuste, pas un des montagnards ne sortait de sa vallée. Alors que l’histoire de l’Europe était un immense massacre, ils vivaient en paix ; chaque année les communes situées sur les versans opposés des Pyrénées se juraient une amitié perpétuelle, et tour à tour leurs ambassadeurs déposaient solennellement une pierre symbolique sur une pyramide élevée par les ancêtres au milieu des pâturages du col. Toutes ces petites républiques, dont l’isolement eût fait une proie facile pour les conquérans, étaient fraternellement unies en une grande fédération, et chacun s’engageait à « sacrifier ses biens et sa vie » pour maintenir la patrie commune « en droit et justice. » Irurak bat, les trois n’en font qu’un, telle est la belle devise des provinces vascongades. Dans les assemblées nationales, qui se réunissaient au milieu de la libre nature sous l’ombrage des chênes, tous votaient, et le suffrage de chacun avait la même valeur. Chose étrange, à une époque où les populations barbares de l’Europe traitaient la femme avec un si féroce mépris, les Basques avaient gardé pour elle cette déférence qui scandalisait déjà Strabon il y a dix-huit siècles ; dans plusieurs vallées, comme aujourd’hui dans l’état américain du Kansas, les citoyennes donnaient leurs avis et leurs voix avec la même liberté que les hommes. Les chroniques locales ont enregistré des séances où, seule contre tous, une femme maintenait énergiquement son opinion, et cette opinion, il faut le dire, était souvent la meilleure[1].

  1. Les mœurs de ces anciens républicains des montagnes sont très bien décrites dans un ouvrage de M. Eugène Cordier, le Droit de famille aux Pyrénées, publié en 1859.