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simplicité bien rares chez les savans, que son premier système ne reposait point sur une base suffisante ; il avoue que deux peuples, « sans communication l’un avec l’autre, peuvent tomber d’accord sur des règles essentielles, » et qu’il serait plus que téméraire d’en conclure la parenté des langues.

Quant aux analogies constatées entre l’eskuara et plusieurs idiomes de l’Amérique du Nord, sont-elles assez nombreuses et assez précises pour autoriser l’hypothèse d’une souche commune entre ces langages ? S’il en était ainsi, on aurait beau jeu pour en inférer que les Basques et les Chippeways sont des frères par le sang ; dans le passé des âges, on verrait ces deux peuples vivant paisiblement à côté l’un de l’autre sur l’Atlantide des anciens jours, cette merveilleuse terre des sages que décrivit Platon, et que la sagacité des géologues modernes a retrouvée au milieu de la mer. Dans la théorie qui fait descendre tous les hommes d’un seul couple, on n’aurait plus alors à s’expliquer comment les Asiates ou les Européens ont pu gagner le Nouveau-Monde et s’y multiplier en de si nombreuses peuplades ; les continens eux-mêmes, semblables à des navires qui s’accostent en pleine mer, puis s’éloignent l’un de l’autre, se seraient déplacés sur la rondeur du globe pour faciliter le peuplement de tous les rivages et pour séparer ensuite en races distinctes les diverses fractions de l’humanité. Guillaume de Humboldt avait déjà signalé les rapports du basque avec certaines langues américaines ; mais il ajoute « qu’à son avis ces vraisemblances sont sans portée aucune, » et « servent plutôt à indiquer le degré de développement des divers idiomes que leur parenté. » Le caractère linguistique sur lequel insistent le plus les partisans de la communauté d’origine entre le basque et les dialectes algonquins est que dans les deux groupes les mots composés se forment souvent aux dépens des racines elles-mêmes. Ainsi, pour nous borner à l’exemple le plus fréquemment cité, le mot pilape, signifiant jeune homme dans la langue des Delawares, est une contraction des deux mots pilsitt, chaste, et lenape, homme. Ces violentes unions de termes ont pour résultat de mutiler ou même de faire disparaître complètement les racines des mots composans ; mais qui ne voit dans ce procédé brutal la conséquence naturelle du besoin qu’on éprouve d’abréger les expressions allongées outre mesure par la juxtaposition de plusieurs mots ? Quand des membres de phrase tout entiers sont unis en un seul terme, ce qui se présente en quelques langues américaines, il n’est pas étonnant que par un besoin d’euphonie on en vienne à supprimer plusieurs syllabes : les éliminations rendent la parole plus libre et plus rapide. C’est là un procédé naturel que l’on applique plus ou moins dans tous les