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forme, réforme périlleuse, car il fallait se heurter aux engouemens, aux passions du jour. S’il n’était que trop facile d’envoyer certains généraux au tribunal révolutionnaire, il était moins aisé de déplacer ceux qu’il importait le plus d’éloigner. Carnot a laissé frapper bien des victimes. Il ne suffit pas d’avoir traité Robespierre mort de « lâche vociférateur » pour se justifier d’avoir donné un blanc seing à Robespierre vivant, et nous ne pouvons accepter qu’après avoir mis son nom au bas de tant d’arrêts terribles, on se dégage de toute responsabilité en déclarant qu’on a signé sans lire[1]; mais reconnaissons aussi que Carnot ne provoqua aucune exécution sanglante : il réussit à renvoyer beaucoup d’indignes, à mettre les hautes fonctions militaires aux mains d’hommes capables de les exercer. Peu de temps après son entrée au pouvoir, Jourdan était à la tête de l’armée du Nord, Hoche dirigeait celle de la Moselle, Pichegru celle du Rhin, Kléber et Marceau étaient en Vendée, Dugommier et Bonaparte devant Toulon. Ce qui était presque aussi important que le choix des hommes, les fonctions étaient définies, et la formule vainement cherchée par Louvois enfin trouvée. Au service de jour succédait la formation des divisions, des brigades et de l’état-major (adjudans-généraux, adjudans commandans). Au lieu de recevoir à tour de rôle une sorte de délégation du com- mandant supérieur et d’alterner pour des missions temporaires, les généraux employés dans les armées actives eurent désormais des devoirs fixes et constans, une responsabilité précise. Sauf ceux qui avaient une attribution spéciale (état-major, génie, artillerie), chacun eut à conduire une certaine partie des troupes toujours les mêmes, qu’il connaissait et dont il était connu. Jadis le général en chef devait déléguer ses pouvoirs, communiquer sa pensée à un de ses lieutenans qui changeait chaque jour; aujourd’hui il a auprès de lui son chef d’état-major pour transmettre ses ordres, ses divisionnaires pour les exécuter. Soulagé du souci des détails, il peut mieux embrasser l’ensemble. Il n’a plus à remuer par une impulsion directe toute la masse de son armée; il trouve les bataillons réunis en demi-brigades, celles-ci en brigades, les brigades en divisions; au premier degré de cette échelle admirablement proportionnée, le bataillon, unité tactique, — au plus élevé, la division, unité stratégique.

Ainsi les enrôlemens à prime et le recrutement arbitraire abolis, l’obligation du service imposée à tous et acceptée sans résistance, l’unité de l’armée rétablie et marquée du sceau national, le mode d’avancement réglé par la loi, l’éducation scientifique et guerrière assurée aux officiers des armes spéciales, les devoirs des généraux

  1. Discours du 9 prairial an III.