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sardé sur les eaux de la baie de Passages dans une barque conduite par des rameuses au bras nerveux, au profil héroïque ; mais là se borne souvent son expérience du peuple basque, et pour le reste il lui est difficile de discerner ce qui vient des anciens habitans du pays et ce qui est dû à l’envahissement graduel des civilisations particulières de la France et de l’Espagne. L’image toute castillane des villes de Fontarabie, Irun, Saint-Sébastien, le souvenir de ces barbares courses de taureaux importées dans la contrée par les Romains et les Visigoths, se confondent dans la mémoire du voyageur et troublent la netteté de sa vision intellectuelle quand il songe au pays basque. D’ailleurs les antiques Euskariens[1] ne sont plus ce qu’ils étaient jadis : les traits de leur caractère national s’atténuent chaque jour. La centralisation administrative, qui les rattache d’un côté à Paris, de l’autre à Madrid, l’usage d’une langue policée dans leurs rapports avec les étrangers, surtout les intérêts du commerce, ont tellement modifié l’apparence et les mœurs de ce peuple, qu’en le voyant on se demande si ce sont là des hommes complètement distincts des autres habitans de l’Europe par leur origine, leur histoire et leur langue. On serait tenté de ne voir en eux que des paysans français ou espagnols ayant encore gardé leurs us et leurs jargons provinciaux, et pourtant ce sont là les descendans d’une race mystérieuse dont aucune autre nation de la terre ne peut encore se dire la sœur.

I.

Chose étonnante, dans ce pays de France où toutes les communes sont délimitées avec tant de soin, que, pour en détacher quelques maisons ou même un simple champ, un acte du gouvernement central est jugé absolument indispensable, la surface occupée par la population purement basque n’est point encore connue d’une manière tout à fait précise. On sait, il est vrai, que la langue euskarienne est parlée dans les trois districts du Labourd, de la Soule et de la Basse-Navarre, c’est-à-dire dans les vallées des arrondissemens de Bayonne et de Mauléon qu’arrosent la Nivelle, la Nive, la Bidouze, le Saison et leurs affluens ; mais quand il s’agit de tracer avec rigueur la frontière entre le basque et les patois béarnais ou gascon, les renseignemens nécessaires font défaut. Certaines communes situées au sud de l’Adour, entre Bayonne et l’embouchure du Gave, appartiennent à la fois aux deux régions ethnologiques : les habi-

  1. On sait que les Basques se donnent à eux-mêmes le nom d’Escualdunac, francisé par le mot d’Euskarien.