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de voûte ? Environ trois cents personnes, hommes et femmes, avaient été invitées à cette cérémonie nautique. Elles se répandirent dans toutes les parties intérieures de la machine, admirant les flancs caverneux du cheval de bois qui allait tout à l’heure bondir sur les vagues. Que de choses à voir dans un vaisseau de ligne : la salle à manger, mess room, dont les tables s’abaissent à l’heure des repas et se relèvent ensuite vers le plafond de bois durant la journée pour ne point gêner la circulation ; la chambre à coucher, où la place de chaque soldat ou matelot est marquée par un hamac soigneusement replié et agrafé au flanc du navire ; les cabines des officiers et les magasins dans lesquels on entasse les cordages, les provisions de bouche ou les munitions de guerre ! Quels singuliers effets de lumière, et comme le jour diminue d’étage en étage, à mesure qu’on descend vers la cale profonde et ténébreuse, hold ! Au dedans et au dehors, tout avait un air de fête. Des musiciens soufflant à outrance dans des instrumens de cuivre souhaitaient depuis une heure et à plusieurs reprises la bienvenue au nouveau-né de la marine britannique. Le bâtiment, à un signal donné, s’ébranla, glissa entraîné par son propre poids le long d’une pente continue, et courut se jeter dans la Tamise. Chemin faisant, il avait reçu le baptême sous la forme d’une bouteille de vin qui alla se briser contre la proue. C’était le moment solennel ; l’eau, violemment refoulée, s’agita comme pour imiter la mer, et au milieu des cris d’enthousiasme les marins déployèrent l’étendard de la Grande-Bretagne, dont les plis flottaient majestueusement. Aux hourras de la foule ne tarda point à succéder un religieux silence. L’émotion qu’excite parmi les spectateurs la mise à l’eau d’un navire de guerre tient sans doute au pressentiment des dangers qu’il va rencontrer, et qu’il doit peut-être faire courir aux autres. À quels hasards est-il destiné ? Assistera-t-il à quelque bataille navale, et contre qui ? Est-ce la victoire ou la défaite qu’il porte dans ses flancs, ou bien la fortune obscure de tant de vaisseaux de ligne qui, construits dans ces derniers temps à grands frais, n’ont jamais vu le feu et ont à peine effleuré la mer ? Cependant le bâtiment lancé, qui avait d’abord fait tant de tumulte sur la Tamise écumante, s’arrêta bientôt ainsi qu’une masse inerte. Il n’avait ni ses mâts, ni ses voiles, ni ses agrès, et, selon l’expression d’un des matelots, ce grand baby de la marine anglaise ne savait point encore se servir de ses membres. Nous fûmes donc obligés de le quitter pendant qu’il flottait impuissant au milieu du fleuve et de regagner la terre sur des barques.

Les choses se passent encore à peu près de la même manière depuis l’introduction de la flotte cuirassée. Seulement la plupart