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villes, plus acharnés sur sa personne que les vampires des mers sur son cadavre ?

À côté du sailor’s home s’élève le sailor’s asylum (asile pour les marins), qui est soutenu par la même société philanthropique. Cette dernière institution a tout à fait un caractère de charité ; elle se propose de donner un toit, la nourriture et le vêtement aux pauvres matelots de toutes les nations et de leur trouver de l’ouvrage. Depuis 1827, quarante-trois mille neuf cent quatre travailleurs de la mer tout à fait dénués ont trouvé un abri temporaire dans ce port de refuge[1]. D’autres institutions anglaises également soutenues par des dons volontaires se chargent d’adopter les orphelins et les orphelines des chefs de famille sans cesse exposés aux fureurs de l’océan. Cette sollicitude d’une nation maritime et marchande pour la classe des matelots témoigne assez qu’elle reconnaît et honore leurs services. C’est sur le vaisseau et à travers les aventures de mer qu’il nous faudrait suivre la vie de ces hommes auxquels doit tant la Grande-Bretagne ; toutefois nous nous attacherons surtout à l’éducation navale.

III.

Pour les marins anglais, toute embarcation est une femme, et chacun d’eux se regarde comme le fiancé de cette ondine aux côtes de bois ou de fer dont il partage sur les vagues la fortune errante[2]. Jusqu’à ces derniers temps, les vaisseaux de ligne appartenant à la Grande-Bretagne sortaient des chantiers de l’état (dockyards). C’est à Deptford, Woolwich, Chatham, Sheerness, Portsmouth, Plymouth ou Pembroke que se construisaient ces citadelles flottantes dont on fait aujourd’hui si peu de cas en présence des frégates à cuirasses de fer qui leur ont succédé. J’assistai vers 1863 à la mise à l’eau, lanch, du dernier navire de guerre en bois qu’aient commandé les lords de l’amirauté au dockyard de Woolwich. Le géant reposait dans son berceau : quel autre nom donner à un bassin de pierre complètement à sec, doublé de chêne et recouvert à une grande hauteur d’une toiture de verre arrondie en forme

  1. Quelques consuls, touchés des attentions qu’on avait eues pour des marins de leur pays réduits à la dernière indigence, ont envoyé des secours d’argent. L’asile se plaint que la France jusqu’ici n’ait rien fait pour lui, quoiqu’il ait beaucoup fait pour les matelots français.
  2. Le genre féminin, appliqué contre les règles générales de la langue à des objets inanimés qui vont sur l’eau, a bien lieu d’étonner; mais ce qui surprend encore davantage, c’est que le vaisseau de guerre, malgré son nom d’homme (man of war), obéit au même usage grammatical : c’est toujours elle, she.