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mariés, et le lendemain Jack repartait sur mer pour un autre voyage. Qui ne devine pourtant les suites d’une pareille union ? Trois années ne s’étaient point écoulées depuis la cérémonie, lorsqu’un beau jour le clerc de la même église vit venir à lui un homme pâle et triste dans lequel il ne tarda point à reconnaître l’ancien adorateur du beau sexe éploré. Le marin venait alors proposer de verser deux fois la somme qu’il avait payée pour la dispense de bans, « si l’on voulait seulement le démarier. »

On comprend aisément le parti que peuvent tirer de vils spéculateurs d’une telle disposition à l’enthousiasme. Le matelot anglais à terre est entouré de harpies auxquelles il prête volontiers dans son imagination les traits de victimes persécutées. Ce n’est certes ni le bon sens ni l’intelligence qui lui manquent, c’est la pratique de la vie. Sa carte marine ne lui a rien appris des écueils qui existent dans les grandes villes. Géant dans la bataille avec les élémens, il ne sait pas plus se conduire qu’un enfant au milieu des intrigues de la société. Ces dragons de l’océan (et on en rit autour d’eux) mordent ainsi que des goujons d’eau douce aux amorces les plus grossières. Et ce ne sont pas seulement les marins britanniques dont on surprend à Londres la bonne foi ; ceux des autres pays sont encore plus maltraités. Il existe dans Wapping des requins de plus d’une couleur. L’un d’eux, qui est noir, a pour industrie d’attirer chez lui et de dévorer les matelots de la race africaine.

Ces faits étaient connus depuis longtemps, et tous les moralistes anglais déploraient un tel état de choses, lorsqu’en 1827 trois capitaines de la marine de l’état, Gambier, Elliot et Justice, résolurent de mettre un terme à de si odieuses pratiques. Un théâtre de Wapping, Brunswick theatre, venait justement à cette époque de s’écrouler et d’engloutir sous ses ruines un assez grand nombre de personnes. Il était situé dans le voisinage des docks de Londres, et l’emplacement parut favorable aux auteurs du projet de réforme. Avec leurs propres ressources et celles de quelques amis, ils achetèrent le terrain et les anciens matériaux pour bâtir sur les lieux une maison destinée à loger les marins durant leur séjour dans la métropole. Le capitaine Elliot abandonna tous les avantages que pouvaient lui offrir la naissance, l’éducation et sa position dans le monde, pour s’enfermer dans un humble logement au milieu du quartier le plus discrédité de Londres. Là, il surveilla lui-même l’érection de l’édifice, et en 1835, lorsque l’établissement s’ouvrit, il dévoua son temps et ses efforts aux travaux de l’administration. L’œuvre prospéra, et de 1854 à 1859 les directeurs de l’institution achetèrent un autre terrain pour agrandir le local. Un nouveau bâtiment annexé à l’ancien, et dont lord Palmerston avait posé la