Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/285

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce n’est point toujours une vie couleur de rose que celle d’un underwriter. Il est riche, c’est vrai, et le plus souvent il s’enrichit encore tous les jours; mais combien de nuages s’amassent d’un instant à l’autre dans l’horizon de ses rêves et de ses entreprises! N’oublions pas qu’il tient la partie contre un terrible joueur, l’océan. Il ne peut dominer le hasard qu’à force de prudence et de calculs; aussi n’a-t-il rien négligé pour élever les conjectures à l’état de science. L’âge du vaisseau et la manière dont il est construit, le genre de marchandises dont il est chargé, la partie du monde vers laquelle il dirige son prochain voyage, l’expérience et le caractère du capitaine qui le commande, tels sont autant d’élémens de prévision que ne néglige jamais un habile underwriter dans l’évaluation d’une assurance maritime. L’état de l’atmosphère doit aussi être consulté. Les habitués de Lloyd’s ont en conséquence devant les yeux deux merveilleux instrumens, — un baromètre et un anémomètre, — qui inscrivent eux-mêmes les résultats obtenus. L’anémomètre surtout, ouvrage d’Osier, étant doué d’un mouvement automatique, marque au crayon sur un papier la force et la direction du vent à toutes les heures du jour et de la nuit. Dans la saison des orages, cette main invisible qui trace des caractères mystérieux sur le mur de la salle des underwriters reporte assez bien l’imagination au festin de Balthazar, car elle aussi écrit souvent à sa manière les sombres arrêts du destin, d’où naissent la ruine et le désastre des affaires. Quoi qu’il en soit, ces hommes dont la fortune tourne au vent ne sauraient mépriser les avertissemens de la girouette; ce sont, comme ils disent, autant d’indices ce dont ils doivent tirer les conclusions. » Pourquoi la météorologie n’est-elle point une science plus avancée ? Les underwriters lui demanderaient bien d’autres conseils ; même dans l’état présent des connaissances, ils cherchent à suivre, au moyen de règles et de calculs plus ou moins certains, la marche des ouragans sur les mers lointaines. Le grand art serait de deviner par le temps qu’il fait à Londres celui qu’il doit faire dans les latitudes où flottent les navires assurés. Quoique les underwriters soient, — du moins sous ce rapport, — les philosophes du temps, je ne crois point que leur science s’étende encore jusque-là; mais je ne serais point étonné si les efforts intéressés de la spéculation dérobaient un jour ou l’autre quelque nouveau secret à la nature, en contribuant à appeler sur cet ordre de faits ténébreux l’étude des lois de l’atmosphère et les observations des météorologistes.