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sur la tête. La Bourse de Londres, tout en affichant d’assez justes prétentions à la grandeur architecturale, n’a point non plus dédaigné la question des intérêts matériels. Presque tout l’extérieur du monument est occupé au rez-de-chaussée par des boutiques situées les unes à la suite des autres, et que divisent des piliers à chapiteaux corinthiens. Des bureaux de sociétés d’assurance sur la vie, contre l’incendie, contre les dangers de mer, remplissent, avec d’autres services, une grande partie du premier étage ; mais de toutes ces institutions la plus célèbre dans le monde entier est sans contredit Lloyd’s.

Et pourtant qu’est-ce que Lloyd’s ? Beaucoup parmi les Anglais eux-mêmes seraient assez embarrassés pour répondre à cette question. Le secrétaire de cette association[1] maritime m’a raconté avoir reçu plusieurs lettres d’affaires adressées à M. Lloyd. Or ce M. Lloyd est un mythe ; aucun des principaux membres ne porte aujourd’hui un tel nom. Encore mythe n’est-il pas le mot, c’est un souvenir que j’aurais dû dire. Il y eut en effet un Lloyd qui tenait un café dans Lombard-street, et chez qui se réunissaient les marchands de Londres intéressés dans les assurances maritimes. Quand mourut-il ? On n’en sait rien ; sa vie elle-même est à peu près ignorée. Il existe pourtant un poème intitulé the wealthy Shopkeeper or charitable Christian (le riche marchand ou le chrétien charitable), dans lequel il est fait allusion à son établissement. L’auteur inconnu de ce poème, publié en 1700 et dont on conserve précieusement un exemplaire dans la bibliothèque du Guildhall, parle de la manière dont un négociant de Londres employait alors sa journée, et ajoute qu’il ne manquait jamais « de se rendre chez Lloyd pour lire ses lettres et suivre les ventes. » On peut conclure de ce passage et de quelques autres documens que le café de Lloyd était un centre de réunion pour les gens de commerce aussi bien qu’un foyer de nouvelles, surtout de nouvelles maritimes. Richard Steel parle de cette maison dans son journal[2], et Addison, dans son Spectator, choisit également le même théâtre de faits, Lloyd’s coffee-house, pour y placer une des scènes de la vie de commerce au xviiie siècle. Avec le temps, cet ancien local ne répondit plus du tout au développement des affaires ; les marchands se transportèrent ailleurs, et, après avoir erré un peu dans Londres, ils finirent par greffer leurs réunions sur l’édifice de la Bourse. Le vrai

  1. Un fait donnera tout de suite une idée de la manière dont se gouverne cette réunion de marchands. Le secrétaire me disait ne point même connaître de vue tel ou tel des membres qui traite pourtant un grand nombre d’affaires chaque année dans l’établissement, tant chacun agit de son côté avec une parfaite indépendance.
  2. Voyez le no 246 du Tatler, publié en 1710.