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soldats et à la plupart des officiers. Distingués par une solde plus forte et par la couleur bleue de leurs uniformes, les gardes nationaux en activité trouvaient pour leur noviciat peu d’assistance dans la ligne, qui leur témoignait une certaine jalousie. Parmi les généraux mis à la tête des armées, les uns étaient trop âgés, d’autres devaient leurs emplois à des combinaisons politiques; très peu d’entre eux avaient l’habitude du service et la confiance de leurs subordonnés. L’ensemble, comme on le voit, était loin d’être homogène, et les premiers incidens de la guerre furent désastreux; les paniques, les révoltes se succédaient avec une rapidité alarmante. Cependant les régimens de ligne retrouvèrent leur aplomb ; les volontaires apprirent au camp de Maulde les élémens de leur nouveau métier. Bientôt l’audace intelligente de Dumouriez, la fermeté de Kellermann et la bonne attitude des troupes arrêtèrent à Valmy le premier élan de l’ennemi. Les Prussiens reculent, et les Français profitent du trouble où cette retraite a jeté la coalition. Les Autrichiens sont battus à Jemmapes, la Belgique et la Savoie sont conquises, le drapeau tricolore flotte sur les murs de Mayence, et la mémorable année 92 s’achève au milieu de ces succès aussi brillans qu’inattendus.

Il ne manque pas de gens qui voudraient tirer le rideau après l’entrée de Dumouriez en Hollande et de Custine à Francfort. Supposons en effet qu’un bon génie ait tout terminé à cette glorieuse date, que Prussiens et Autrichiens se soient dès lors tenus pour vaincus sans retour; avec un peu de bonne volonté, en faisant abstraction de certaines circonstances essentielles, il serait permis de croire qu’un peuple belliqueux, par la seule fougue de son enthousiasme, peut repousser une injuste invasion et reporter la guerre sur le territoire de l’agresseur. Comme conséquence logique, il faudrait abroger les lois de recrutement, d’avancement, réduire l’établissement de paix à l’entretien d’un certain matériel et de quelques milliers de soldats de profession. Qu’un péril survienne, un habile général apparaîtrait comme le deus ex machina, la garde nationale ne lui ferait pas défaut, et que Dieu protège la France !

Mais le début de la campagne suivante suffit seul à renverser cette utopie. Dès les premiers mois de 93, l’armée du Rhin était rejetée sur la Lauter, et l’armée du nord repoussée de la Belgique. Avec les revers et les défections avaient reparu les méfiances, les distinctions d’origine ; les essais d’avancement à « l’ancienneté de service » donnaient les résultats les plus bizarres; nul progrès dans l’organisation, dans la cohésion; la proscription était aveugle, les mutations dans le commandement étaient continuelles; c’était une vraie cascade de généraux de plus en plus faibles. En quelques