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entente loyale des partis rivaux, sont toujours assurés d’avoir la parole quand ils le désirent. Supposez que l’interpellation de M. Lanjuinais eût eu lieu dans les formes de la procédure anglaise, le débat eût été plus précis, plus complet, bien plus instructif et pour le gouvernement et pour le pays. Les hommes politiques importans y auraient eu leur place marquée. Pour n’en citer que deux, toute la chambre, amis et adversaires, y aurait appelé M. Thiers, et y eût admis à sa convenance M. Émile Ollivier. Qui mieux que M. Thiers eût pu, par une analyse ingénieuse et calme, éclairer l’opinion publique sur les récens changemens constitutionnels, en signaler par une critique précise, mais modérée, les parties défectueuses ou insuffisantes, en indiquer avec impartialité les parties acceptables et encourageantes ? Obtenir de M. Thiers qu’il prenne la parole, n’est-ce pas toujours un profit pour l’intelligence politique du pays, un honneur pour la chambre, une satisfaction glorieuse pour l’esprit français ? Quant à M. Émile Ollivier, il n’eût point été découragé, dans une circonstance si délicate de sa carrière politique, par les clameurs d’une portion tumultueuse de la chambre. Il eût été mis en demeure de définir la position qu’il a prise ; on eût pu désapprouver ses motifs et ses conclusions, on eût du moins épargné à un homme jeune, qui semblait dirigé par une vocation politique déterminée, une manifestation de ralliement aux idées gouvernementales peu conforme à ses antécédens, que ses amis eux-mêmes ont dû trouver trop laconique et trop sommaire, et qui ne pouvait acquérir une valeur sérieuse que si elle eût été justifiée par des explications suffisantes.

L’homme heureux dans cette discussion a été M. Rouher. On peut être séparé du ministre d’état par des dissentimens profonds sur la théorie de nos institutions politiques, mais on ne saurait sans injustice fermer les yeux sur ses éminentes facultés. Il est le représentant le plus robuste, le mieux accrédité que puisse avoir la politique du gouvernement dans cette phase de transition colorée d’une teinte libérale. Quand on songe que les résolutions déclarées le 19 janvier ont été prises si récemment, qu’elles ont dû donner lieu à tant de délibérations et de travaux de préparation concertée, qu’elles ont succédé à l’élaboration compliquée de la loi militaire, que M, Rouher a deux ministères à conduire, on est obligé de reconnaître dans cet homme d’état une facilité d’esprit et une puissance de travail peu ordinaires. Dans ce mouvement incessant de labeurs, le rôle que M. Rouher doit remplir devant les chambres ne semble être pour lui qu’une énergique récréation. Il porte dans la discussion publique une sérénité, un air de confiance qui en feraient, sous des formes politiques plus avancées, un chef parlementaire des plus influens. On le dirait de cette race de travailleurs bien portans qui oublient les fatigues et les mécomptes du passé, qui repoussent les préoccupations soucieuses de l’avenir, et, mesurant leur tâche à la journée, l’accomplissent avec une allègre vigueur. Il prend tout du point de vue pratique ; aux grands argumens de M. Jules Favre, il répond