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parlementaires, est donc devenue aux yeux de l’opposition la pierre de touche de l’indépendance du corps législatif et l’occasion d’un conflit d’attributions constitutionnelles. Ces conflits ont assurément une grande importance ; quand ils sont au fond des choses, ils sont perpétuellement ramenés par les événemens ; la sagesse conseille de les prévenir par des solutions raisonnables et prudentes ; ceux qui résultent de nos procédures réglementaires seront certainement terminés un jour par les nécessités impérieuses du gouvernement représentatif au profit des principes libéraux. Cependant l’opinion n’en est point encore suffisamment saisie, et l’interpellation sur les mesures du 19 janvier ne lui a point apporté la nature d’éclaircissemens qu’elle désirait et qu’elle attendait.

Le tour que la discussion a pris dans cette circonstance a d’ailleurs décontenancé tout le monde. L’honorable président de la chambre, au premier mot prononcé par M. Lanjuinais à propos de la constitution, paraît avoir été pris d’un cruel embarras. Il y a un sénatus-consulte qui interdit la discussion de la constitution. Le président a cru de son devoir d’appliquer les prescriptions de ce sénatus-consulte au député libéral chaque fois que celui-ci cherchait dans la constitution une définition ou un enseignement. Il faut que l’esprit de certaines personnes ait été envahi par une confusion d’idées bien étrange pour que le sens du mot discussion ait reçu dans une prescription légale une acception si fâcheuse. Les Français finiraient vraiment par ne plus se comprendre entre eux, s’il était au pouvoir des lois de dénaturer à ce point la signification des mots. Le législateur ne doit avoir voulu prévenir qu’une chose : c’est l’attaque à la constitution, la critique agressive de la loi fondamentale ; mais la discussion loyale, c’est-à-dire l’interprétation raisonnable et l’invocation positive des principes constitutionnels ne peut avoir été refusée à ceux que ces principes régissent. La nature des choses a été ici la plus forte, et l’on peut dire que les deux séances consacrées à l’interpellation de M. Lanjuinais ont été remplies par une discussion de la constitution. Certes c’est une grave difficulté d’avoir à présider une grande assemblée délibérante quand, grâce aux législations restrictives interprétées dans le sens le plus sévère par des esprits passionnés, on peut être exposé aux scrupules qui ont assailli l’autre jour M. Walewski, et se croire obligé de ramener un orateur aux voies orthodoxes par des admonestations multipliées. Qu’il est digne d’envie, quand on le compare aux présidons de nos chambres, le speaker de la chambre des communes enseveli sans sa majestueuse perruque, affranchi de tout devoir de pédagogie, et laissant paisiblement s’écouler, sans y mêler lui-même un murmure, les effusions de l’éloquence parlementaire. C’est que dans la libre et indépendante chambre anglaise la responsabilité de la conduite des débats parlementaires repose non sur le président, mais sur les chefs des partis. Aussi jamais en Angleterre les discussions ne sont tronquées par des surprises arbitraires. Les orateurs considérables, par une