Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

meurait une souveraineté étrange, privée de liberté. Ce suffrage universel de qui découlaient tous les pouvoirs était traité comme une divinité sourde et muette. Cette anomalie va disparaître avec la rentrée de la presse dans le droit commun et la reconnaissance en une certaine mesure du droit de réunion. Ainsi cesseront les autres incohérences qui nous choquent encore ; le gouvernement est le premier intéressé à y mettre promptement un terme, car le décousu des idées et des mots communiquerait à sa politique une fâcheuse ambiguïté. En tout cas, la cause libérale pourrait supporter avec une indulgence hautaine les inconséquences du pouvoir, car elle a deux auxiliaires d’une efficacité certaine, la logique et la force des choses. Ces réflexions nous venaient à l’esprit tandis que nous assistions aux maladresses qui ont compromis l’effet des promesses du 19 janvier. La circulaire du directeur-général des postes, les premiers bruits répandus sur les dispositions du projet de loi relatif aux journaux tranchaient sur la situation nouvelle comme de malencontreux contre-sens ; mais la conscience et la raison publiques ont fait sur-le-champ justice des tendances qui se manifestaient si mal à propos. Un immense et instructif étonnement a accueilli en France et à l’étranger ce fait, qu’une surveillance de police sur les correspondances privées pouvait être confiée aux plus infimes agens de l’administration des postes. La stupéfaction des esprits sensés n’a pas été moindre quand on a été informé que la première élaboration d’un projet de loi sur la presse avait abouti à un système de pénalités féroces et absurdes, allant jusqu’à frapper les écrivains d’incapacité politique et à porter atteinte à l’inviolabilité des représentans du pays. Une explosion de la raison et de la probité générales a suffi pour avertir le pouvoir. L’inquisition postale a été en somme désavouée par M. Rouher ; le projet de loi sur la presse a été remanié et purgé, dit-on, des énormités qu’on avait annoncées. Nous avons vu et nous verrons encore, par suite des habitudes du régime, dictatorial, d’autres absences d’esprit parmi les agens et les organes du pouvoir. Il semble qu’il ne soit point possible de passer d’un état de choses à l’autre sans commettre des inconséquences et des maladresses qui heureusement seront bien vite aperçues et redressées par l’opinion publique. Soit par l’effet des combinaisons tout artificielles introduites dans notre législation politique, soit par suite de la longue léthargie qui a engourdi chez nous la discussion, on dirait que nous sommes condamnés pour quelque temps encore à des embarras singuliers de langage et de conduite.

La gaucherie est le trait de la situation. On en a eu la curieuse démonstration dans le débat parlementaire engagé par l’interpellation sur l’acte du 19 janvier. Tout est allé de travers du commencement à la fin de cette discussion. Cependant le sujet était bien digne d’une délibération approfondie, calme et patiente de la chambre. Quelque opinion que l’on ait sur la procédure employée par le chef de l’état dans la résolution des mesures