Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/249

Cette page a été validée par deux contributeurs.

le lait pour séparer de sa masse la mince couche de crème qu’elle contient, ainsi de Vigny a visiblement composé ce poème avec le plus pur élixir de ses rêveries, incessamment soumises à une laborieuse épuration. Aucune trace de fermentation poétique n’y est plus sensible ; chaque comparaison a été prise et reprise jusqu’à ce qu’elle ait été amincie à point, chaque image a été dégrossie jusqu’à ce qu’elle ait atteint le degré de subtilité voulue. Comme art, ce petit poème peut s’appeler le chef-d’œuvre du joli. Quoiqu’il ait pour scène le ciel et l’enfer, et qu’il s’y trouve une ou deux comparaisons dignes de Milton, celle par exemple de la villageoise qui, se regardant dans le miroir d’un puits, s’y voit couronnée d’étoiles, ce n’est pas le sentiment divin de l’infini qu’il faut lui demander, c’est le sentiment plus profane, bien que de nature éthérée, de toutes les belles choses vaporeuses et fugitives qui se jouent entre la terre et le ciel, l’éclair verdoyant qui s’échappe des hautes cimes lorsque sous une lumière propice le vent fait passer sur elles un doux frisson, le miroitement des clartés à la surface des nappes d’eau larges et paisibles, la fuite rapide des blancs nuages qui se dissolvent en traînées de vapeurs, les tendres colorations des délicats couchers de soleil du premier printemps et du dernier automne. Pas de couleurs fortes et tranchées, rien que des nuances, des teintes et demi-teintes, les plus tendres possible, rose, orangé, gris perle. Figurez-vous trente pages d’une poésie nacrée, irisée, moirée, satinée à faire croire que l’antique messagère des dieux déploie devant vous son écharpe. Oh ! comme il est bien à sa place dans ce poème, cet éblouissant colibri qui s’y est introduit pour lui fournir une comparaison célèbre, très admirée et très digne de l’être ; il est là vraiment comme dans son éden, et j’ai peine à me figurer que l’œuf dont il sort soit plus mignon et plus joliment peint. La pensée première du poème est ingénieuse autant que la forme en est coquettement parée. C’est justement que l’ange destiné à succomber par excès de tendresse sort d’une des larmes de celui qui vint apporter au monde la loi d’amour, qui dans sa délicatesse divine connut seul parmi les hommes le prix des cœurs capables d’aimantes défaillances, et qui aima de préférence à s’entretenir avec les âmes ouvertes au bien par les doux péchés. Encore une fois ce n’est que la perfection du joli, mais c’est une véritable merveille.

Le joli, tel est en effet un des caractères les plus marqués, le plus marqué peut-être, du talent de M. de Vigny après l’élévation. On peut dire qu’il lui a été donné d’exprimer parmi nous le genre rococo ou Pompadour dans toute sa perfection : rappelez-vous dans Stello l’intérieur de Louis XV, quelques-unes des scènes de l’épisode d’André Chénier, le joli proverbe de Quitte pour la peur, et