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longs et humides afin que les réservoirs se remplissent de neige, peu importe que le froid soit intense ou modéré ; il suffit que le thermomètre se tienne en général au-dessous de zéro, que la neige s’accumule et ne fonde pas à mesure qu’elle tombe. Il est beaucoup plus essentiel que l’été ne soit pas trop chaud, et ne fasse pas disparaître la neige tombée pendant l’hiver. Néanmoins un certain degré de chaleur est nécessaire : il faut que pendant l’été le thermomètre s’élève au-dessus de zéro, sans quoi la neige resterait à l’état pulvérulent, et ne passerait point à celui de névé en fondant et en regélant ensuite. Le névé de son côté ne s’infiltrerait pas d’eau et ne se changerait point en glace. M. Henri Lecoq[1] a eu le mérite de montrer le premier le rôle important que la chaleur et l’humidité jouent dans la formation des glaciers, l’humidité pour engendrer la neige, la chaleur pour la fondre partiellement sans la faire disparaître totalement. La Nouvelle-Zélande, avec ses hivers humides sans être rigoureux, ses étés modérés où un ciel habituellement couvert éteint et absorbe les rayons solaires, réalise le climat le plus favorable à la formation des glaciers : aussi sont-ils nombreux et étendus dans les montagnes de la plus méridionale des deux îles. Toutefois il ne faut rien exagérer. Les pays couverts de glaciers, le Spitzberg, le Groenland, l’Amérique boréale, représentans actuels de la période glaciaire, sont des contrées où le climat est d’une rigueur extrême, et où la moyenne de l’été ne dépasse pas quelques degrés au-dessus de zéro. Rarement le thermomètre y atteint 10 degrés, et dans les chaleurs extraordinaires et exceptionnelles il marque 15 degrés centigrades. Il est donc probable que le climat de l’époque glaciaire était rigoureux. Rappelons-nous aussi que beaucoup de mollusques vivant alors dans les mers de l’Angleterre et de la Suède méridionale ne se retrouvent plus qu’au-delà du cercle polaire, et que les côtes étaient assiégées de glaces flottantes, comme aujourd’hui celles du Labrador, de Terre-Neuve et du Canada. Le climat glaciaire devait par conséquent être au moins aussi rigoureux que celui de ces dernières contrées, dont la moyenne annuelle est comprise entre zéro et 5 degrés au-dessus de zéro. Appliquons ces données à l’extension des glaciers du Mont-Blanc.

En Suisse, pendant les années à étés pluvieux de 1812 à 1818, le glacier du Rhône avait tellement avancé que deux géomètres, MM. Pichard et Marc Secrétan, calculèrent qu’il aurait mis 774 ans pour arriver du fond du Valais jusqu’à Soleure. Moins de huit siècles, c’est une minute sur le cadran de la géologie ! J’ai fait un autre raisonnement : supposons que l’hiver de la plaine suisse reste tel qu’il est, mais que l’été soit moins chaud, de façon que la tempé-

  1. Des Glaciers et des Climats, ou des Causes atmosphériques en géologie, 1847.