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magnifiques échantillons à l’amitié de M. Desor, je ne puis partager cette opinion. De même qu’un amateur de gravures reconnaît le coup de burin d’un artiste célèbre, de même sur ces surfaces unies et polies je reconnais les stries rectilignes, parallèles entre elles, que les glaciers actuels gravent devant nous sur les rochers de la Suisse. Un mouvement continu, agissant toujours dans la même direction, a pu seul buriner ces lignes droites. J’ai étudié d’un autre côté les glaces flottantes sur les côtes du Spitzberg, je les ai vues osciller, tourner sur elles-mêmes, s’échouer à la marée basse, redevenir libres à la marée montante, je les ai vues entraînées lentement par les courans ou poussées par le vent, et il me semble impossible que de pareils agens aient pu tracer des stries qui conservent invariablement, quel que soit le relief du sol, la même direction sur une vaste étendue de pays. Je reconnais dans ces stries l’action ferme et sûre des glaciers, et me joins à MM. Hitchkock, Agassiz et Desor pour affirmer dans ces stries l’œuvre des glaciers terrestres qui recouvraient jadis l’Amérique du Nord. A cet argument j’en ajoute un autre qui m’est fourni par les géologues que je viens de nommer. Puisqu’on trouve dans le New-Hampshire des stries à 1,500 pieds sur le mont Washington, il faudrait supposer, dans l’hypothèse que les stries ont été burinées par des glaces flottantes, une subsidence du continent américain jusqu’à la profondeur de 1,500 mètres; or on ne rencontre des dépôts de coquilles marines que jusqu’à la hauteur de 180 mètres au-dessus de la mer, hauteur qui nous indique la limite extrême de l’immersion du continent. Des osars ou bancs de sable émergés comme ceux de la Suède témoignent aussi de l’oscillation du continent américain; comme ceux de la Suède, ils sont couronnés de blocs. L’opinion populaire, les prenant pour des chaussées artificielles élevées par des indigènes, leur a donné le nom d’Indian ridges.

Les roches moutonnées, polies et striées sont également recouvertes de blocs erratiques souvent disposés en lignes parallèles, comme sur les glaciers actuels, et d’un terrain de transport grossier (course drift) qui monte dans les montagnes du Vermont jusqu’à 720 mètres au-dessus de la mer; ce drift correspond aux matériaux meubles qui composent les moraines des glaciers, et comme elles il contient des cailloux rayés souvent empâtés dans la boue glaciaire. Les vallées sont occupées par un terrain meuble stratifié et des argiles remplies de coquilles marines dont l’espèce vit encore aujourd’hui sur les côtes d’Amérique. Ces dépôts correspondent à ceux de la Suède et de l’Angleterre, et ne dépassent pas, comme je l’ai dit, la hauteur de 200 mètres environ. Au-dessus de ces dépôts, on trouve quelquefois encore des sables et des graviers, terrain très commun autour du fleuve Saint-Laurent et appelé pour