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continent uni à la France et à l’Allemagne, mais séparé de la Scandinavie par un étroit chenal.

Cet état de choses n’est point une pure fiction. La séparation de l’Angleterre et de la France date d’hier, géologiquement parlant. Constant Prévost et M. d’Archiac l’ont parfaitement démontré, le premier en signalant la concordance qui existe entre les couches de craie des deux rives de la Manche, le second en prouvant l’identité des nappes de cailloux roulés qui recouvrent la craie. À cette époque, la végétation continentale a envahi une première fois la plus grande partie des îles britanniques. Des forêts semblables à celles de la Germanie couvrirent les coteaux de l’Angleterre. Les couches de lignite appelées forest-bed ou forêt sous-marine de Crommer, reconnues le long des côtés de Norfolk sur une longueur de 64 kilomètres, sont les restes de cette végétation primitive. Dans des circonstances favorables, à la marée basse et à la suite de grands coups de vent, on voit encore des troncs d’arbres debout, dont les racines plongent dans le sol ancien. Quelques-uns ont de 60 à 90 centimètres de diamètre, ce sont des pins, des sapins[1], des ifs, des chênes, des bouleaux, le prunellier commun[2], et des débris de plantes aquatiques, telles que le trèfle d’eau[3] et les nénuphars blancs et jaunes. Parmi ces arbres, l’un, le pin sylvestre, ne croît spontanément qu’en Écosse, l’autre, le sapin, est complètement étranger à la flore actuelle de l’Angleterre. Les plantes aquatiques prouvent que ces forêts étaient marécageuses. Ces lignites correspondent à celles de Dürnten, d’Utznach et de l’Unterwetzikon en Suisse, dont nous avons parlé dans notre dernière étude : elles forment ce qu’on appelle un horizon géologique, c’est-à-dire un ensemble de dépôts contemporains malgré la grande distance qui les sépare, un point de repère certain pour juger l’âge relatif des terrains situés au-dessus et au-dessous de cet horizon. Au milieu de ces lignites, MM. Gunn et King ont recueilli les ossemens d’animaux appartenant à une faune semblable à celle de la Suisse à la même époque ; c’étaient le mammouth, deux espèces d’éléphans, un rhinocéros, un hippopotame, de grands cerfs, le renne, un bœuf, le loup commun, le sanglier et le castor[4].

Continuant l’examen de la falaise dont les couches de lignite forment la base, on voit sur une épaisseur variant de 6 à 24 mètres des couches irrégulières dans lesquelles on a recueilli des ossemens

  1. Pinus sylvestris, Abies excelsa.
  2. Prunus spinosa.
  3. Menyantes trifoliata.
  4. Elephas primigenius, E. antiquus, E. meridionalis ; Rhinoceros etruscus: Hippopotamus major ; Sus scrofa, Canis lupus, Equus fossilis, Bos priscus, Megaceros hibernicus ; Cervus capreolus, C. elaphus, C. tarandus, C. Sedgwickii, Castor europœus.