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les anciennes et nouvelles conquêtes se couvrirent de citadelles, de magasins, de casernes, d’hôpitaux; leurs ressources en numéraire, en subsistances, en matériel de tout genre, étaient exploitées avec cruauté parfois, avec dureté le plus souvent, toujours avec promptitude et méthode. Chaque pays où entraient nos colonnes était aussitôt saisi par l’ingénieur et par le munitionnaire; les vivres étaient absorbés, accumulés; de vieilles murailles étaient renversées, d’autres s’élevaient. Le fléau de la guerre semblait plus lourd aux peuples; si les maux qu’elle entraîne n’étaient pas partout aggravés, on en sentait le poids plus constamment, plus uniment. La condition du soldat fut améliorée; on songeait à le nourrir, à le vêtir, à le mettre à couvert; c’était chose neuve. Cependant l’augmentation du nombre, l’agglomération des hommes ramenaient une partie des souffrances que la prévoyance avait atténuées; les rapports des inspecteurs parlent sans cesse de soldats « demi-nus, sans bottes, logés comme des porcs, hâves et maigres à faire peur;» mais il y avait progrès, car on constatait le mal, on y cherchait remède. N’oublions pas à ce propos que Louis XIV et Louvois arrachèrent les guerriers infirmes ou estropiés à la misère, et leur ouvrirent l’hôtel des Invalides. Quant aux opérations militaires, elles trouvèrent de nombreux points d’appui, des bases solides, des dépôts bien pourvus; elles acquirent une portée, une durée inconnues; on put menacer partout à l’entrée en campagne, choisir son point d’attaque, débuter par des coups de théâtre inattendus, avancer ou reculer sans mourir de faim, s’abriter en cas de revers, arrêter les progrès de l’ennemi vainqueur. Nous ne possédons plus toutes les forteresses construites ou retouchées sous le règne de Louis XIV, beaucoup de celles qui nous restent n’ont plus aujourd’hui la même importance; mais soyons reconnaissans envers ceux qui ont enveloppé notre frontière de cette formidable ceinture. Non, l’argent employé par Vauban avec tant de probité et de génie n’a pas été une dépense de luxe; que ceux qui conservent quelques doutes à cet égard relisent l’histoire des campagnes de 1713 et de 1793 : deux fois nos places ont sauvé la France.

Nous venons de résumer en quelques pages l’œuvre accomplie pendant trente années de travail assidu; nous en avons assez dit pour faire comprendre par quels efforts on parvint à monter une première fois cette immense machine, combien les rouages en étaient compliqués, et comme tout s’y tenait. Ainsi qu’on a pu le voir, il y avait dans ce vaste ensemble quelques parties déjà parfaites, d’autres seulement ébauchées, beaucoup de bons germes à développer, des mesures excessives et des lacunes importantes. Il serait superflu d’insister davantage sur les détails; mais il nous reste à indiquer aussi brièvement que possible ce que devint un