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par haine de la vérité. Les philosophes de l’école critique se plaignent des goûts futiles qui entraînent une partie de la jeunesse contemporaine et remplacent pour elle les nobles enthousiasmes des générations précédentes. Qu’il y ait dans la triste histoire de ces jeunes énervés devenus incapables de penser de terribles griefs à leur charge, je le sais; qu’il y ait beaucoup et avant tout de leur faute, je n’en doute pas, et je ne voudrais pas déplacer une responsabilité qui doit peser sur eux. Mais si la grande curiosité est éteinte et glacée parmi nous, n’est-ce pas aussi en partie la faute de cette école qui ne nous présente dans le spectacle des systèmes que les formes changeantes de l’erreur? Comment une pareille philosophie pourra-t-elle inspirer les espoirs magnanimes, les dévouemens héroïques à la science du relatif, les enthousiasmes sublimes pour les formes passagères de l’éternelle illusion? Quelques penseurs solitaires sont capables, je le sais, de ce singulier désintéressement, de ce dévouement à une science qui nous trompera toujours. L’humanité n’est pas capable de cet héroïsme : il ne faut pas l’attendre d’elle. Quoi d’étonnant qu’elle ait perdu le goût des idées, quand on lui a révélé que les plus belles conceptions ne sont que la plus noble manière de se tromper? Cela était inévitable. — Je sais qu’à parler ainsi en général on s’expose à être injuste, et qu’il y a dans les générations nouvelles des groupes sérieux qui ne se sont pas laissé atteindre par la contagion. Je saurais où trouver à l’occasion des ardeurs intellectuelles, des impatiences généreuses de savoir, de grands courages et de nobles esprits qui maintiennent le niveau moral et nous préparent peut-être, dans le silence viril de leurs méditations, un meilleur avenir. J’ai été souvent ravi à la vue de ces jeunes gens qui n’ont pas laissé entamer par la frivolité malsaine des mœurs publiques la fière virginité de leur pensée; mais ceux-là, combien sont-ils? Et combien sont-ils au contraire ceux qui ont renié le culte des idées, au moins par leur indifférence?

La frivolité du public, c’est là le vrai mal du temps. On a souvent, en des termes trop solennels peut-être, dénoncé et flétri les dépravations de la raison à notre époque. Il m’a toujours paru que ces réquisitoires manquaient le but en le dépassant. Ce n’est pas tant la perversité de l’esprit humain qu’il faut accuser de nos jours que son incurable mollesse, sa répugnance à tout effort sérieux. Parlons légèrement des choses légères. Il serait faux de dire que le goût de l’esprit soit éteint. Non; mais il s’est déplacé d’une étrange manière.

De quel côté se portent aujourd’hui de préférence les curiosités oisives de la foule? Nous ne voulons toucher qu’en passant à ces symptômes; mais combien ils sont caractéristiques! Ce qui semble