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plaignait-on amèrement de la dureté du ministre. Avec les fonds que le roi faisait remettre pour la solde, quelques distributions en nature et la contribution qui, sous le nom d’ustensile, était imposée aux communautés affligées du logement des gens de guerre, les colonels, les capitaines devaient nourrir, habiller, équiper la troupe, faire le prêt tous les dix jours. Gare à ceux qui se permettaient des retenues illégales, qui, aux jours des revues, se passaient des hommes ou des armes pour dissimuler la faiblesse de leur effectif ou le mauvais état de leurs compagnies! Ce n’est pas tout; il fallait trouver les recrues. Ici Louvois n’était pas gênant; pour l’enrôlement, les officiers pouvaient à peu près impunément se permettre les violences et les supercheries. Une fois les prétendus volontaires amenés sous le drapeau, ils devaient y rester quatre ans. Nulle prescription pour la taille; il suffisait de ne présenter « ni gueux, ni enfans, ni contrefaits. » Plus tard, on devint encore plus facile; il fallut arriver aux bataillons de salades, aux levées d’enfans, de pauvres petits misérables ; il fallut moissonner les générations en herbe. Louvois lui-même vécut assez pour constater l’insuffisance du racolage ; il n’avait d’abord tenu aucun compte de l’antique institution des milices, qu’il trouvait mal définie, qu’il considérait comme oubliée et mettait à peu près sur la même ligne que l’arrière-ban. Aussi avait-il accepté volontiers l’argent que les états de Languedoc et autres avaient offert au lieu de contingent; mais quand la guerre fut partout, au midi comme au nord, les hommes et les cadres manquèrent à l’armée de ligne : les provinces durent fournir des régimens de milice, composés d’abord de volontaires non mariés, puis complétés par le tirage au sort, habillés, équipés par les paroisses, commandés par des gentilshommes du pays. Cela donna de 25 à 30,000 hommes qui servirent surtout en Italie, et s’y comportèrent bien. Aux yeux du ministre, l’appel des milices n’avait été qu’un expédient; il est fort douteux qu’il ait jamais songé à les constituer définitivement, à y chercher les élémens d’une transformation de notre état militaire; mais, quels que fussent ses projets, le temps lui manqua pour les exécuter : il mourut presque au moment où Catinat menait pour la première fois au feu les régimens provinciaux.

Si, malgré son énergie et son audace, Louvois paraît avoir hésité à compléter son œuvre par certaines mesure radicales, il ne connut pas d’obstacles dans l’impulsion donnée à deux services qui entre ses mains semblaient se confondre, la haute administration de la guerre et les fortifications. Avec les conseils et le concours de Vauban, avec l’aide de quelques intendans actifs, ingénieux, vigilans, sans pitié comme lui, les Robert, les Jacques, les Berthelet, il ne se contenta pas de réformer, il créa. Les provinces frontières,