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dirons que cette mort ne nous paraît ni regrettable ni prématurée. Julien avait tenté une entreprise impossible, qui lui coûta le repos et qui aurait fini par lui coûter l’honneur. Le temps était venu où, sous peine de laisser avilir en lui la majesté souveraine, il était obligé de renoncer à la persuasion pour recourir à la force. Des chrétiens emportés par l’ardeur de leur foi, d’autres encouragés par sa longanimité et son mépris philosophique des injures, commençaient à l’insulter en face. S’il punissait l’insolence, il risquait de faire des martyrs. Déjà, pour quelques châtimens infligés par des magistrats plus soucieux de la gloire du prince que le prince lui-même, l’opinion chrétienne exaspérée se répandait en hyperboles orientales, et racontait que l’Oronte charriait des monceaux de cadavres chrétiens. D’autre part, à quoi pouvait se résoudre sa justice au milieu de querelles chaque jour renaissantes entre païens et chrétiens, entre ariens et orthodoxes, entre chrétiens et Juifs, et comment prendre parti pour les uns ou pour les autres sans être accusé ou de tyrannie ou de ruse? Encore s’il avait trouvé un appui solide chez les païens! mais ceux-ci ne pouvaient s’accommoder de son intégrité, de ses exemples austères, de son mépris pour la licence et la servilité. Abhorré des chrétiens, importun aux païens, sa vertu même était un fardeau pour le monde. Ce fut un bonheur pour lui de mourir « avant d’avoir abusé du pouvoir, » comme il le dit lui-même à ses derniers momens, et peut-être ne savait-il pas jusqu’à quel point il avait raison de remercier ses dieux qui lui faisaient la grâce de le rappeler à eux « dans la fleur de sa renommée.» Si nous osions, comme fait souvent M. de Broglie, pénétrer les desseins de la Providence, nous dirions volontiers que Julien a été montré un instant au monde pour rappeler le christianisme à la concorde et même au respect de certaines vertus antiques qu’il ne fallait pas laisser périr, et pour prouver au paganisme son irrémédiable impuissance.

Nous voudrions que l’histoire se bornât à condamner avec sévérité l’immense erreur dont Julien fut la victime volontaire, mais qu’elle ne se crût pas obligée comme autrefois de disputer au prince une à une ses incontestables vertus. Il ne faut pas vouloir mutiler ou égratigner son image, qui est d’airain, mais la jeter par terre d’un seul bloc. S’il est peu sensé d’applaudir avec des historiens du XVIIIe siècle à la tentative d’une restauration païenne, il est non moins dangereux qu’injuste de dépouiller de ses mérites un héros païen par cela qu’il est l’ennemi du christianisme. Faudra-t-il encore dans notre siècle des ambages et des circonlocutions pour déclarer que Julien fut un grand caractère, et devons-nous être réduit à redire cette phrase d’un historien que M. de Broglie appelle