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dix ans, une bruyante agitation et comme une émeute de pieuses âmes qui demandait aux pouvoirs publics précisément ce que Julien avait ordonné, à savoir que dans nos écoles il fût interdit d’étudier les auteurs profanes de l’antiquité? Ils ignoraient, ces chrétiens trop zélés, et ils auraient frémi d’apprendre qu’ils étaient les imitateurs de l’apostat, et des imitateurs bien plus iniques, puisque Julien interdisait les lettres antiques à ceux qui souvent les trouvaient méprisables, tandis que les nouveaux persécuteurs prétendaient les interdire à ceux qui les jugeaient de tout point excellentes. Aussi faut-il détester l’intolérance philosophique ou religieuse partout où on la rencontre, non-seulement à cause du mal qu’elle produit dans le moment, mais parce que ses armes sont de celles qui changent le plus facilement de main.

Sur cette pente de la tyrannie où il aurait fini par glisser, Julien fut arrêté par la guerre des Perses, où il mourut à trente et un ans en héros et en philosophe. Ayant voulu dans une retraite périlleuse ranimer le courage de ses soldats par l’exemple de son audace, il se jeta dans la mêlée sans cuirasse et eut le foie traversé d’un javelot. Transporté dans le camp, sitôt que la première douleur fut calmée, il redemanda son cheval et ses armes, et l’.émule des héros antiques fut un moment troublé à l’idée qu’il avait perdu son bouclier; puis il fait aux assistans désolés un long discours avec le calme tragique des vieux temps, se félicite de mourir jeune dans la fleur de sa renommée, prend ses amis à témoins qu’il n’a pas abusé du pouvoir, et remercie les dieux qui lui envoient la mort sous la forme d’un glorieux congé. Il sait d’ailleurs par la philosophie qu’il va changer sa condition pour une meilleure. Enfin, après avoir réprimé par quelques mots les larmes et les gémissemens de ses amis, il entre avec les philosophes Maxime et Priscus dans un grave entretien sur la nature de l’âme et sa destinée future, et sans agonie ferme ces yeux terribles et doux que jadis les soldats « ne se lassaient pas de contempler. » Des historiens prétendent que l’armée regarda la mort de Julien comme un châtiment céleste: rien n’est plus faux, car lorsque le lendemain Jovien fut élu par des officiers et que le nom du nouvel empereur parcourut les rangs, l’armée déjà en marche, trompée par la ressemblance des noms et entendant crier derrière elle : Jovien auguste! répéta avec transport : Julien! Elle croyait que la blessure n’était pas dangereuse et qu’il revenait à la vie. En apprenant la vérité, les soldats éclatèrent en sanglots; ils venaient de le perdre une seconde fois.

Bien que nous ne soyons pas insensible à la classique beauté d’une fin qui rappelle les plus grands trépas, et qui est touchante malgré sa sérénité un peu théâtrale et sa fastueuse simplicité, nous