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blique, et croit-on que depuis dix ans il n’avait pas senti doucement frémir sous le vent populaire la voile qui devait le mener au port ? Il avait une ambition plus digne de son orgueil et de sa foi, et ce prince mystique, qui pouvait se croire prédestiné et chéri du ciel non moins que de la terre, mettait son point d’honneur à ne pas rechercher ce qui lui serait tôt ou tard offert par la fortune pour être un instrument pur et irréprochable entre les mains des dieux.

Ce que nous disons ici n’est pas pour défendre Julien, dont la révolte eût été bien excusable et naturelle après tant d’outrages reçus de Constance. C’est simplement pour conserver au prince l’originalité de son caractère que nous repoussons l’accusation de M. de Broglie, qui du reste ne repose sur aucun témoignage historique. M. de Broglie a d’abord la bonne foi de reconnaître que tous les écrivains païens, Ammien Marcellin, Libanius, Zozime, donnent la résistance de Julien à sa proclamation comme sincère ; mais il préfère s’en rapporter au récit des chrétiens. On pourrait lui objecter que les chrétiens sont suspects aussi bien que les païens en sens inverse. Eh bien ! s’il le faut, je tiens pour non avenus les témoignages profanes pourtant si dignes de confiance, et je n’écouterai que l’opinion chrétienne, s’il est vrai qu’elle accuse Julien d’avoir pris la couronne lui-même. Que dit l’historien chrétien Sozomène ? « En ce temps-là, Julien au comble de la gloire, adoré par ses soldats, fut proclamé par eux auguste. » Zonaras après un récit confus ajoute : « Devant les épées nues des soldats qui menaçaient de le tuer, Julien accepta l’empire, peut-être contre son inclination. » Reste le témoignage de saint Grégoire, qui n’est guère impartial, puisqu’il a donné lui-même à son discours le titre d’invective contre Julien. Or le fougueux orateur, qui répand ses saintes colères en cent pages in-folio, se contente de dire : « Il prit le diadème, «jugement sommaire qui est prononcé non pas sur la prétendue conspiration de Julien, mais sur l’irrégularité de son avènement. Puis donc que ni les païens ni les chrétiens ne l’accusent, nous n’avons pas le droit de l’accuser non plus, à moins de dire comme un historien timide qui, ne voulant point le condamner sans preuves et n’osant l’absoudre hardiment, laisse échapper cette phrase naïve : « Il faut avouer que, si ce prince fit mouvoir les ressorts qui relevèrent au rang suprême, il cacha bien son jeu. »

Si l’histoire n’offrait jamais que les mêmes scènes d’intrigue et d’ambition, elle ne mériterait vraiment pas d’être étudiée. C’est à saisir la différence des caractères et des hommes qu’elle doit mettre son soin et son intérêt. Julien est tout autre chose qu’un général rebelle qui en grandissant veut faire violence à la fortune ; il ne doit pas être confondu avec tous les chefs d’armée qui dans la Gaule se sont fait proclamer empereurs, il était peut-être dans son carac-