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ce cri qu’il faut recueillir dans sa noble épître au peuple d’Athènes : « Que de torrens de larmes je répandis, que de gémissemens, les mains tendues vers l’Acropole de votre cité, suppliant Minerve de sauver son serviteur et de ne pas l’abandonner! » Dans son désespoir, le jeune philosophe opprimé se détournait du Dieu adoré par son tyran et levait ses mains vers la déesse de la sagesse, la seule divinité qui ne l’eût pas fait souffrir. Ainsi donc que l’on donne à Julien tous les noms qu’il plaira, qu’on l’appelle insensé, fanatique, mais qu’on cesse de lui infliger durement ce nom d’apostat, de peur qu’un historien, trop touché de ses malheurs, ne s’avise un jour de prouver que l’apostasie était excusable.

Chose vraiment remarquable, jusqu’à ce moment la vie de Julien a été réglée, arrangée dans le détail par la défiance ombrageuse de Constance, qui s’en était fait le maître, avec des minuties de prétendue prudence qui n’étaient qu’une maladresse poussée jusqu’à la perfection. On lui avait fait détester le christianisme à force de vouloir l’y enchaîner, on lui fournit encore l’occasion de s’attacher davantage au paganisme. Julien ayant demandé à se retirer modestement en Asie, Constance, par une défiance nouvelle, lui assigna pour séjour Athènes, « la ville, dit un père, la plus dangereuse pour le salut, » la ville des plus beaux souvenirs antiques, l’asile des muses, de l’éloquence, de la philosophie profane, et à cette époque des initiations mystiques. Julien séduit tout le monde par ses talens, son beau langage, sa modestie charmante dans un prince. Il marche entouré d’orateurs, de philosophes, de vieillards, de jeunes gens, qui aiment à faire cortège à celui dont ils devinent sans doute les secrets sentimens, tandis que des étudians chrétiens, parmi lesquels saint Grégoire et saint Basile, pénètrent déjà en lui, avec la clairvoyance d’une foi inquiète, le redoutable ennemi du christianisme; mais bientôt Julien est arraché de nouveau à ses études et à cette douce popularité. Par un coup de théâtre surprenant, il est jeté dans la carrière politique. Le faible Constance, apprenant que la Gaule était en proie à la révolte et aux invasions barbares, incapable de faire face au péril, songe à partager le fardeau de l’empire, et ne trouvant plus personne de sa famille, qu’il avait exterminée, il se voit forcé, malgré de secrètes alarmes, de s’adresser à ce cousin de vingt-quatre ans, l’objet de ses ombrages. L’étudiant d’Athènes, qui reçoit subitement l’ordre de se rendre à Milan, peut croire qu’on l’appelle à la mort, et c’est la pourpre de césar qu’on lui réserve. Il est présenté par Constance lui-même aux acclamations des troupes. On l’envoie dans la Gaule, triste et désespéré, à la tête de trois cent soixante soldats, sans instructions, sans même l’avertir de ce qu’on savait déjà, que les Francs avaient forcé le Rhin et se répandaient jusque dans la Bourgogne, n’ayant