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un rhéteur rien n’est plus dur que de renoncer à des phrases toutes faites qui ont été la gloire de sa vie. Ce qui fortifia surtout le paganisme, c’est le secours que lui prêta la philosophie en le rajeunissant. Elle, qui jusqu’alors lui avait fait la guerre, devint son alliée dans le péril commun et par l’instinct de sa propre conservation. La philosophie prit tout à coup des allures mystiques et inspirées, elle entoura de savantes ténèbres la claire mythologie compromise par sa clarté; à ses explications symboliques elle mêla les pratiques mystérieuses des cultes orientaux, à sa théologie subtile et confuse les redoutables secrets de la magie; elle eut ses initiations clandestines et terribles, ses enthousiasmes extatiques, ses vertus nouvelles, souvent empruntées au christianisme, ses bonnes œuvres, ses miracles même. En un mot, elle devint la théurgie, cet art sublime et suspect qui prétend pouvoir évoquer Dieu sur la terre et dans les âmes. Le christianisme rencontrait donc non plus un culte suranné, facile à renverser, mais une religion vivante, puisant son énergie dans sa défaite, défendue par des fanatiques savans dont la sombre ferveur et l’éloquence illuminée étaient capables d’entraîner aussi une armée de prosélytes.

Ainsi le paganisme n’était plus cet édifice ruineux qu’on nous peint quelquefois, qui devait s’écrouler au premier souffle. Sa vétusté avait été étayée par des superstitions nouvelles, et l’éclectisme alexandrin, moitié philosophique, moitié religieux, en avait cimenté les pierres disjointes. Cette religion, solidement assise sur la base séculaire des mœurs et des coutumes, solidement réparée, pouvait donner à quelqu’un l’idée de la défendre, et en profitant d’un moment favorable, des fautes de l’ennemi, de recommencer une guerre qui ne paraissait point désespérée. Les défenseurs ne manqueraient pas, et on pouvait être sûr non-seulement de leur nombre, mais de leur ardeur, car nous nous trompons aujourd’hui quand nous ne voyons chez les païens qu’une obstination froide qui ferme volontairement les yeux à la vérité chrétienne. Dans les rencontres hostiles et souvent meurtrières, la foi se heurtait à la foi. C’est du reste l’ordinaire effet des luttes prolongées de mettre aux mains des adversaires les mêmes armes, et s’il est vrai que dans les guerres politiques toute cause qui inspire le fanatisme excite chez l’ennemi un fanatisme contraire, à plus forte raison doit-il en être ainsi dans les guerres religieuses. Aussi voyons-nous dans le camp des païens, avec des croyances moins pures et moins clairement définies, la même confiance dans l’intervention divine, des deux côtés la même attente des signes surnaturels. S’il y a des légendes chrétiennes, il en est aussi de païennes. De toutes parts éclatent des miracles et des prodiges, et telle est la foi des uns et des autres et la facilité à tout admettre de ce qui paraît divin, que les païens souvent ne