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fait connaître l’homme et son œuvre. Deux directeurs-généraux, Saint-Pouange et Chamlay, se partagèrent les détails de l’administration, du personnel et des opérations militaires. La confusion qui existait entre les diverses branches de la profession cessa, et on peut dire que pour la première fois le principe de la division du travail fut appliqué à la guerre. L’artillerie eut ses troupes, et les lieutenans du grand-maître devinrent des officiers; les ingénieurs furent organisés. Avec ou sans titre spécial, chaque arme eut ses inspecteurs-généraux, qui établissaient, maintenaient l’uniformité dans le service et dans l’instruction : Martinet pour l’infanterie, Fourille pour la cavalerie, Dumetz pour l’artillerie, et pour les fortifications celui dont nos lecteurs ont déjà prononcé le nom, celui dont l’amitié, comme l’a très bien dit M. Rousset, protège la mémoire de Louvois, l’homme de génie, l’homme de bien par excellence, Vauban.

La discipline s’exerça à tous les degrés de la hiérarchie militaire; non-seulement les déserteurs, les passe-volans et autres coupables obscurs furent poursuivis avec une rigueur que la nouvelle organisation rendait plus efficace, mais les hauts grades mêmes furent soumis à des règles qui étaient jusqu’alors inconnues, et que de tout temps il est fort difficile de maintenir. Si plusieurs maréchaux étaient présens dans une même armée, ils étaient obligés d’obéir à celui que le roi avait désigné; d’éclatantes disgrâces servirent d’exemple aux récalcitrans. Les officiers-généraux avançaient selon l’ordre du tableau; ils roulaient entre eux pour le service. Quiconque a ouvert un volume de Saint-Simon se rappelle toutes les lamentations que de telles mesures arrachent à l’orgueil du duc et pair. Tout en faisant la part des préjugés et des rancunes du grand seigneur mécontent, il faut reconnaître que ses critiques n’étaient pas sans fondement; commode pour le pouvoir, qui se trouvait délivré de beaucoup d’obsessions et d’embarras, ce système avait de graves inconvéniens pratiques : il était favorable aux médiocrités; la responsabilité était divisée, le commandement instable ; on avait mis un terme au désordre, mais en dépassant le but. Les colonels-généraux furent supprimés ou dépouillés de prérogatives devenues exorbitantes; il n’y eut plus d’officiers nommés sans l’attache du roi; tous se trouvaient sous la surveillance du ministre; ils avaient leurs notes, leur dossiers; ils étaient protégés contre les caprices de leurs chefs, et les actes de prévarication ou d’oppression dont ils se rendaient coupables envers leurs soldats étaient sévèrement punis. Une fois la hache mise en plein bois, il semble que Louvois eût dû frapper plus ferme, supprimer la vénalité des grades; il la laissa subsister, se bornant à tarer les charges, à exiger certaines conditions d’admission ; il