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nement qui justifia son espoir décida par là de toute sa conduite. » C’est ainsi que cet homme de guerre, à l’âme simple, mal instruit des doctrines de l’Évangile, pratiquant plus mal encore ses préceptes, se trouva tout à coup le soldat du christianisme. Il avait été protégé par son Dieu, il le protégea à son tour, il fit avec lui comme une ligue défensive. Dans l’antiquité, on ne comprend pas autrement la religion. Les prières, les sacrifices étaient des hommages intéressés offerts à des maîtres tout-puissans. La piété restait fidèle tant que la divinité se montrait ou redoutable ou généreuse, et, comme on le voit souvent dans les grands événemens politiques et même dans la familiarité de la vie domestique, quand le pouvoir d’un dieu paraissait fléchir, on s’adressait à un autre, et on cherchait ailleurs un patronage plus efficace. De là vient que les succès et les revers décident si souvent de la piété et de la foi. Le dernier adversaire de Constantin, l’empereur Licinius, fit en païen ce qu’avait fait en sens inverse son rival. Flottant entre les chrétiens et les païens, ne sachant lesquels il devait protéger, il finit par se faire le champion du paganisme, et le matin même de la fameuse journée d’Andrinople, où les armées des deux religions se heurtèrent dans une rencontre suprême, il posa nettement la question devant ses soldats avec une simplicité grossière : « Amis et compagnons, ce jour décidera qui de son dieu ou des nôtres a droit aux hommages des hommes ;… car si nos dieux, qui ont au moins l’avantage d’être plusieurs contre un, se laissent vaincre par le dieu de Constantin, sorti on ne sait d’où, personne ne doutera plus quel est celui qu’il faut adorer. Chacun devra se ranger du côté du plus fort et prendre le parti de la victoire… Nous-mêmes, il nous faudra bien reconnaître cet étranger, dont nous nous moquons, et donner congé à ceux pour qui nous aurons fait en vain brûler nos cierges ; mais nos dieux sortiront vainqueurs de la lutte… » Le fougueux Licinius, on le voit, ne raisonnait pas autrement que Constantin. Seulement il fut battu, chassé, poursuivi à travers son empire, et en perdant cent mille hommes dans une suite de défaites, il put se convaincre que le dieu nouveau était plus fort que tous les siens. Triste et naïve manière de s’en remettre, comme dans les duels du moyen âge, au jugement de Dieu, pieux fatalisme qui changeait la force en bon droit, dangereuse persuasion qui faisait dépendre la foi des hasards de la guerre ! Ne pouvait-il pas venir à quelque dévot païen l’idée et le courage d’éprouver encore une fois le pouvoir de l’olympe et de lui fournir l’occasion d’une revanche ? Julien tenta l’entreprise avec les idées qu’on avait de son temps. La cause du plus grand nombre pouvait lui paraître la plus juste ; une bataille avait élevé le christianisme, une bataille pouvait le renverser.