Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lant restaurer le paganisme, de soutenir une cause perdue, mais qui n’en est pas moins un grand esprit et un noble caractère. M. de Broglie nous invite lui-même à le combattre quand il nous dit avec cette élévation de sentimens qu’on peut attendre de lui : « La critique qui me fera connaître mes erreurs peut être sûre que je l’accueillerai avec la reconnaissance qu’on doit à un véritable service. » C’est accorder d’avance plus qu’elle ne demande à notre critique, qui voudrait simplement opposer au brillant portrait composé par M. de Broglie un portrait plus juste et un jugement plus équitable.


I.

Un historien chrétien du IVe siècle devrait être intéressé, ce nous semble, à ne pas rabaisser l’adversaire du christianisme. Plus est grand l’ennemi, plus la victoire sera éclatante. Pour prouver combien la foi chrétienne était irrésistible, nous nous plairions plutôt à montrer que les plus fortes digues étaient incapables d’arrêter le torrent, que les plus solides vertus profanes devaient être emportées comme des pailles légères par le courant divin. Nous laisserions à Julien ses belles et irrécusables qualités pour les humilier au pied de la croix. Nous ferions ce qu’avaient coutume de faire les vainqueurs antiques qui, pour rehausser l’éclat de leur triomphe, promenaient derrière leur char le vaincu désarmé, mais entouré de ses richesses et des marques de sa puissance, afin de mieux peindre aux yeux des spectateurs la hauteur de sa chute. Nous prendrions exemple sur Bossuet, qui, malgré l’ardeur biblique de sa foi, conserve son vif sens historique, et dans ses explications sur l’Apocalypse prouve longuement que Julien est la bête annoncée par les prophéties, et toutefois ne songe pas à diminuer le monstre. Que l’histoire, qui ordinairement est une grande adulatrice, se plaise à décorer le triomphe des vainqueurs, rien n’est plus naturel, puisque les causes victorieuses, non pas à un moment donné, mais à la longue, sont les plus justes ou les plus fatales; mais elle fera toujours bien de ne pas insulter le vaincu, dans l’intérêt même du vainqueur. Et si, par exemple, elle veut montrer l’impuissance de la république romaine en face de l’empire, elle ne doit point taire les vertus de Caton, et si elle tient à exalter le christianisme, qu’elle se garde bien de méconnaître un homme tel que Julien.

A travers tant de siècles qui nous séparent des événemens, nous avons quelque peine à nous figurer le rôle que s’est donné le généreux empereur. Accoutumés que nous sommes à rendre hommage à la supériorité morale de la foi chrétienne, à contempler de loin le