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fureur, la discorde, le désespoir suprême, éclatent à la fois. Le combat est livré, les derniers défenseurs de Jérusalem ont péri, et le peuple s’apprête en pleurant à partir pour son long exil, lorsque Jérémie fait luire à ses yeux du sein des ruines une nouvelle et plus brillante espérance.

Au milieu de tout cela se déroule une histoire d’amour, qui, moins habilement traitée, eût couru risque d’altérer la majesté du sujet. Il serait facile de signaler dans ces diverses scènes bien des réminiscences plus ou moins volontaires. La prophétesse Ulda, vieille, aveugle, incrédule à l’espérance, la bouche pleine de menaces qui ne sont pas écoutées, apparaissant de loin en loin comme l’image du destin ou d’une providence vengeresse, rappelle la Cassandre d’Eschyle et la vieille reine Marguerite dans Richard III. Il y a entre un prêtre de Moloch et Rachel, la fille de Jérémie, une scène où l’on reconnaît celle de Claude Frollo importunant de son amour impie Esméralda prisonnière. Les adieux de Rachel et d’Emmanuel son époux, avant la bataille, sont un écho de ceux d’Hector et d’Andromaque. On peut croire les scènes populaires inspirées de celles où Brutus et Antoine subjuguent tour à tour, dans Shakspeare, la populace romaine. Jérémie en prison refuse de se sauver, comme Socrate dans le dialogue de Platon. Ulda vient, conduite par un enfant, chercher à Jérusalem dans les ruines du temple une tombe prédestinée, comme Œdipe va, guidé par Antigone, chercher la sienne dans le bois sacré de Colone. Tout cela ferait croire que M. David Lévi n’est pas doué précisément à un haut degré de l’imagination créatrice.

Il ne faut pas toutefois juger ce drame comme s’il avait été fait pour le théâtre, comme on jugerait le Saul d’Alfieri ou l’Athalie de Racine. Ce n’est pas une œuvre désintéressée ; la pensée politique prime ici la conception tragique. C’est beaucoup que, préoccupé comme il l’était d’un but étranger à la poésie, l’auteur n’ait altéré la vérité historique ni dans le ton ni dans les faits, qu’au contraire, plus exact et plus scrupuleux que la plupart de ceux qui ont cherché comme lui une inspiration poétique dans la Bible, il ait assez heureusement mis à profit les résultats les mieux établis de la critique contemporaine. A l’heure qu’il est, les écrivains de l’Italie sont exposés à rencontrer dans le public une attention bien distraite, et c’est ce qui explique sans doute la stérilité relative de la littérature en ce moment. M. David Lévi a cru pouvoir malgré tout affronter la concurrence redoutable des événemens qui passionnent tous les esprits : nous souhaitons qu’il ne soit pas trop vaincu dans cette lutte. Nous avons pensé, dans tous les cas, devoir à la valeur de son travail la justice d’une mention.


P. CHALLEMEL-LACOUR


L. BULOZ.