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neté du grand-duc, absolument dégagé maintenant de toute obligation fédérale, et sans porter aussi un sérieux ombrage à la France, qui ne pouvait laisser se prolonger indéfiniment une situation si fausse à sa frontières On était en présence d’une difficulté bien délicate. Sans doute la Prusse, établie dans la forteresse depuis cinquante ans, était exposée à considérer un si long droit d’usage, comme un droit de quasi-propriété. Si l’ombrage de la France était fondé, on eût pu nous encourager à la patience en rappelant que la présence des Prussiens à Luxembourg pendant un demi-siècle n’avait été pour nous la cause d’aucun dommage. On eût pu aussi penser qu’il était permis de laisser dormir la question, puisqu’aucune nécessité pratique n’en réclamait la solution immédiate. Nous connaissons ces conseils de la circonspection patiente, et nous en comprenons l’utile justesse suivant les circonstances ; mais, pour notre compte, nous croyons qu’au moment de la paix de Prague la France et la Prusse ont eu tort de ne point régler tout de suite la question luxembourgeoise, dont la difficulté et le péril étaient si faciles à prévoir. M. de Bismark eût donné une preuve d’intelligente modération et eût mis à couvert les susceptibilités de l’amour-propre prussien, s’il eût pris, dans ce moment de son triomphe, l’initiative de rappeler ses soldats de Luxembourg ; on eût tenu compte en France à M. de Bismark de la franchise et de la droiture d’un tel procédé. La générosité prudente faisant défaut à la politique prussienne, il est regrettable que la politique française ait manqué de présence d’esprit dans cette circonstance. La Prusse eût-elle pu nous refuser le règlement équitable du sort du Luxembourg au moment où nous lui prêtions le concours de notre médiation et où elle devait avoir le sentiment vivant des inappréciables services que venait de lui rendre notre neutralité ? Les perplexités de la Hollande et de son roi ont bientôt soulevé la question qu’on avait omis de prévoir.

Il est fâcheux que ce soit du côté du roi de Hollande que la solution de la question luxembourgeoise ait été essayée. Le procédé employé n’a point été direct ; il a engagé et compromis la France en la privant des moyens d’action immédiate qui eussent fortifié sa demande, si elle l’eût présentée elle-même sans intermédiaire à Berlin. Depuis les événemens qui avaient changé l’état de l’Allemagne, la Hollande invoquait le patronage amical de la France ; elle nous témoignait le désir de rompre le lien dynastique existant entre elle et le grand-duché, afin de se soustraire aux tracasseries et aux dangers que pouvait lui susciter la continuation de l’établissement militaire de la Prusse à Luxembourg. C’est dans le cours de ces instances plaintives qu’est née l’idée détournée de la cession du Luxembourg à la France, laquelle entraînait implicitement l’objet important de la transaction, l’abandon de la forteresse par les Prussiens. Chose étrange, dans ce mode de négociation, c’est le roi de Hollande qui s’est chargé de nous aboucher avec la cour de Berlin ; c’est lui, si M. de Bismark eût été bon prince, qui eût voulu nous conduire par la main vers ce terrible potentat ; il dési-