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ce qu’elle a été par l’esprit, par les œuvres, par les épreuves, c’est un religieux même qui le résumait en traits rapides. « La suppression de l’année 1806 confisqua les biens du monastère en laissant vivre les moines. Quand nous vînmes, ceux-ci étaient peu nombreux, mais les traditions restaient intactes ; les traditions ne se confisquent pas. Nous arrivâmes à temps pour les recueillir de la bouche de nos anciens. Nous ne sommes nous-mêmes qu’un petit nombre, mais toujours bénédictins. Le moyen âge ne finit jamais, chaque siècle a le sien, et c’est pourquoi nous ne croyons jamais notre mission superflue. Tout le monde sait quel moyen âge ont traversé ces provinces méridionales depuis 1815. Il n’y avait pas seulement à conserver des manuscrits, il y avait à conserver les idées. Et cela, nous l’avons fait toujours en élevant dans ces murs une jeunesse nombreuse pour Dieu et pour la patrie. Nous eûmes dans nos cloîtres une imprimerie pour la publication de nos travaux sur les chartes de ses archives. Avec tout savant qui venait ici comme un hôte, nous partageâmes le pain et les idées. Nous appelâmes tous les Italiens d’intelligence et de cœur à la fondation d’un journal ou revue l’Ateneo. Nous opposâmes la sainte-alliance de la pensée à celle de la force. Et tout cela, nous le fîmes à découvert, sous les yeux du gouvernement. Gioberti nous loua, et ses louanges furent un titre de proscription contre nous. La réaction de 1849 nous frappa, l’imprimerie nous fut enlevée comme une armé d’iniquité. Nous subîmes l’exil, la prison, mais sans jamais ressentir le remords de les avoir mérités… »

Celui qui résumait de ce trait ferme l’histoire contemporaine de son abbaye, c’était justement ce religieux dont je parlais, le père dom Luigi Tosti, une des dernières et des plus séduisantes personnifications de l’ordre bénédictin. Vrai fils du Mont-Cassin d’ailleurs, il vit dans ces cloîtres depuis l’âge de huit ans ; il s’y est formé, il y a grandi, et c’est là, dans cette belle et chère solitude, dans cette vie contemplative et studieuse du moine, qu’il est devenu un des plus éminens écrivains de l’Italie nouvelle, l’historien des luttes religieuses et politiques d’autrefois, l’annaliste des guerres de l’indépendance italienne, le rapsode poétique et passionné des insurrections nationales. Son premier écrit, je le disais, est cette Histoire de l’abbaye du Mont-Cassin, qui a dû de voir le jour à M. de Rothschild ; une de ses dernières œuvres est le livre des Prolégomènes de l’Histoire universelle de l’Église, et nul n’a défini l’inspiration, l’unité de ses divers ouvrages mieux qu’il ne l’a fait lui-même un jour où il écrivait : « Vous ne trouverez pas dans ces livres le savant, mais le moine laborieux qui, le regard fixé vers le ciel, n’a jamais oublié sa patrie, — guelfe toujours pu papal parce qu’il ne trouvait pas d’autre force pour faire la révolution contre