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sont maintenues enfin les traditions d’une aimable hospitalité. Il est devenu cette retraite austère et douce d’où sont sortis depuis deux cents ans de précieux recueils de vieilles chartes, de belles éditions des pères de l’église, des œuvres d’érudition et de littérature. Rien ne peint mieux cette vie que la correspondance entre un Mabillon ou un Montfaucon et un Érasme Gattola, préfet des archives du Mont-Cassin, car les solitaires du couvent italien correspondaient avec les savans de leur temps et se tenaient au courant de tout ce qui se passait dans le monde des lettres. Rien aussi ne caractérise mieux la figure morale des bénédictins que les démêlés de ce vieil ordre avec les remuans jésuites, et cet antagonisme d’esprit, de nature, qui inspirait à dom Michel Germain, pendant son voyage dans l’Italie méridionale, cette piquante boutade au sujet des savans de Naples qui étaient tous sectateurs de Descartes : « Ces savans ne sont pas jésuites. Tout Italiens qu’ils sont, ils ne les épargnent pas, même en leur présence. Je m’en suis étonné : c’est pourtant ce que j’ai remarqué ici et ailleurs ; c’est que peut-être fin contre fin ne vaut rien à faire doublure. » Il y avait dans cet antagonisme plus qu’un jeu de finesse ; il y avait le contraste ; la lutte de deux esprits, et ce contraste n’a fait que devenir plus vif avec le temps et les révolutions.

Assailli un instant par l’invasion républicaine française à la fin du dernier siècle, supprimé comme couvent sous le règne éphémère de Joseph Bonaparte, mais en même temps maintenu comme un grand dépôt d’archives laissé sous la garde des moines survivans qui semblaient alors devoir être les derniers bénédictins, — rétabli après la restauration dans son intégrité monastique, mais avec un patrimoine presque complètement ruiné, le Mont-Cassin a traversé de nos jours une épreuve toujours grave pour une maison religieuse, l’épreuve des contradictions et des révolutions. Il en est sorti avec cette physionomie originale, à demi voilée, d’une communauté monastique qui du sein de sa solitude est en alliance secrète avec le siècle. Il a été de plus en plus, je ne veux pas dire un ordre religieux libéral pour ne rien dénaturer, du moins un ordre conduit par la pensée, par la méditation indépendante, à l’intelligence des révolutions contemporaines. Les habitans du Mont-Cassin d’aujourd’hui ont été, comme leurs prédécesseurs, de vrais bénédictins par le travail. Gardiens d’immenses et précieux documens, ils ont mis au jour des cartulaires, le Codex Italo-Byzantinus, œuvre du père Kalefati, qui éclaire d’une lumière toute nouvelle l’histoire de la domination grecque en Italie au moyen âge, et récemment encore ils publiaient avec de savans commentaires un manuscrit de la Divine Comédie contemporain de Dante et laissé au Mont-Cassin,

Ce qu’a été du reste l’abbaye depuis le commencement du siècle,