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Par un étrange et redoutable contraste, la révolution de la fin, du dernier siècle, en émancipant le monde politique, n’a fait qu’étendre et enraciner dans le monde religieux les habitudes absolutistes qui sont devenues aux yeux d’une partie de l’église la vraie tradition. La discipline a paru être de plus en plus l’unique considération, le grand idéal, si bien qu’une de ces dernières années, sans soupçonner la gravité d’un tel aveu, un prélat français a pu dire dans une assemblée publique que ses prêtres marchaient à sa parole comme les soldats à la voix de leur colonel ; mot profond, qui révèle toute une situation où un clergé sans garantie serait en face d’une omnipotence revêtue de la double sanction religieuse et administrative ; mot dangereux, qui accuse peut-être plus qu’on ne le croirait le régime actuel des rapports de l’église et de l’état.

Il n’en était pas ainsi autrefois. La liberté jouait un plus grand rôle dans l’organisation ecclésiastique, dans le mécanisme intérieur de l’église, comme dans les rapports entre l’église et les fidèles. Le clergé, sans tomber dans la révolte, avait plus de garanties d’indépendance. Les ordres monastiques, sans cesser d’être soumis dans les affaires de la foi à la puissance pontificale, jouissaient d’une sorte d’autonomie inviolable. Le droit d’élection s’exerçait partout, notamment dans les corporations, et faisait de la communauté catholique une république chrétienne au lieu d’une monarchie absolue. L’abbé d’un couvent était certes un puissant personnage avec sa double autorité spirituelle et temporelle ; mais ce n’était pas un préfet, une sorte de fonctionnaire imposé : c’était le mandataire de la communauté, qui l’élisait elle-même. Quand l’abbé du Mont-Cassin mourait, le prieur prenait la direction des affaires de l’abbaye, et pendant la vacance le bâton pastoral, le livre de la règle, restaient déposés sur l’autel de Saint-Benoît jusqu’à l’élection nouvelle ; puis les moines se rassemblaient ; ils se divisaient par ordres particuliers de prêtres, de diacres, de laïques, et ils nommaient au scrutin trois religieux qui restaient chargés de choisir le nouvel abbé. C’était l’élection à deux degrés. Quand les trois délégués avaient fait leur choix, ils le proclamaient devant les moines réunis, à qui le prieur demandait s’ils ne connaissaient aucun obstacle à l’élection. Lorsqu’aucune opposition ne se manifestait, le prieur continuait : « Vous le voulez donc, ce choix vous agrée ? » L’assemblée répondait : « Oui, nous le voulons, cet abbé nous convient. — Eh bien ! acceptez-le donc, » reprenait le prieur. Alors on conduisait l’élu au siège abbatial, on lui remettait les clés de l’église, de la bibliothèque et des autres bâtimens du monastère, avec une ceinture renfermant de l’argent qui devait être distribué aux pauvres. Le pape ne faisait que confirmer l’élection. De plus, quelque étendus que fussent les pouvoirs ainsi conférés, l’abbé n’avait pas